Derrière un jargon qui se veut valorisant, à défaut d’être compréhensible, l’application des nouveaux textes issus de la loi Travail en matière d’apprentissage ne fait que renforcer la dépréciation de l’apprentissage et fait de l’Éducation nationale un rabatteur, pour les entreprises, de main-d’œuvre low coast.

Le système éducatif offre trois voies : générale, technologique et professionnelle. Cette dernière compte 665 000 élèves. D’après le ministère de l’Éducation nationale, avec 60 %, les enfants d’ouvriers ou d’inactifs y sont surreprésentés, face aux 12 % d’enfants de cadres. Et la dernière réforme en date de la voie professionnelle accentue encore davantage l’écart entre les élèves de ces trois voies en termes de maîtrise des savoirs.

Dès la fin des années soixante-dix, l’entrée dans l’enseignement professionnel mute : au cours des deux décennies précédentes, les enfants des classes populaires y entraient en vue d’occuper des emplois stables, alors qu’aujourd’hui, ils y entrent pour cause d’échec au collège. Cette orientation par l’échec fait de l’enseignement professionnel une variable d’ajustement du système éducatif inscrite dans une logique d’adaptation à la formation et à l’employabilité immédiate selon les besoins des entreprises.

Le développement des campus des métiers, véritables « Harvard professionnels » complètement déconnectés du réel, en sont l’illustration. En 2018, avec les lois « Transformation de la voie professionnelle » et « Loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel », acte II de la loi Travail, on a assisté à un bond en arrière. En libéralisant le marché de la formation et de l’apprentissage, les candidat·es au CAP et des CFA privés, que doivent certifier les professeurs en lycée pro, se sont multiplié·es. Le déficit lié à la réforme de l’apprentissage et de la formation professionnelle est estimé à 4,9 milliards d’euros, selon le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales et de l’Inspection générale des finances en 2020.

Dimension utilitariste de l’apprentissage

L’essence de la réforme repose sur la mise en opposition et en concurrence de la voie professionnelle et de l’apprentissage. Alors que la voie professionnelle a des vertus de sociabilisation pour des élèves aux parcours scolaires en pointillés, l’apprentissage renferme une dimension utilitariste.

Avec la réforme, la déprofessionnalisation s’est accentuée. Pourtant très critiquée par les élèves et les enseignants, elle fait de la seconde professionnelle une année de tri et de préparation à l’apprentissage et préconise des mesures qui adaptent le lycée professionnel à la priorité donnée à l’apprentissage. Mais que peut valoir un diplôme professionnel avec moins de pratique et d’enseignement professionnel tel que le bac pro en deux ans le sous-tend ?

Deux dispositifs sont mis en avant : l’intervention conjointe, conditionnée à la « bonne entente » entre enseignants en termes d’approche pédagogique et de pratiques, ce qui ne va pas de soi, et le pompeux « chef-d’œuvre » qui est censé être une réalisation individuelle ou collective des élèves leur permettant d’exprimer des talents en lien avec leur futur métier et de montrer leurs compétences. On peine à imaginer en quoi cela consiste concrètement mais la surcharge de travail des personnels, que le ministère refuse de rémunérer, et les pertes d’heures de cours sont conséquentes. Les lycéens perdent quatre heures de cours, passant de 34,5 heures hebdomadaires à 30. C’est l’équivalent d’un trimestre de cours sur trois ans.

La vision utilitariste ainsi renforcée laisse davantage de place à la culture de l’entreprise, au détriment de la culture générale. Pire, l’explosion des heures d’accompagnement personnalisé contribue à l’individualisation des parcours au détriment du groupe classe. Chacun·e est ainsi renvoyé·e à un isolement délétère, à l’heure où ces jeunes aspirent naturellement à davantage d’accompagnement et de collectif.

Les entreprises tentent d’imposer des contrats d’apprentissage aux contenus pédagogiques définis selon leurs besoins. Elles sont soutenues par l’Inspection générale, qui préconise de contrevenir au code du travail en aménageant la réglementation concernant travaux dangereux et horaires de nuit pour les mineurs.

Pour la CGT Éduc’action, l’égalité des filières générale, technologique et professionnelle doit être affirmée. La CGT s’oppose en cela à tous les dispositifs d’orientation précoces enfermant les élèves dans un destin social et revendique une voie professionnelle permettant insertion professionnelle et poursuite d’études dans un cadre national. La formation professionnelle publique doit être diplômante et qualifiante et répondre aux enjeux sociaux et écologiques d’aujourd’hui.