Romans, essais, Le Travailleur parisien vous propose une sélection de livres à emporter ou à lire chez soi.
La Panne, de Christophe Dejours
Les éditions Payot ont réédité en 2023, dans leur « Petite Bibliothèque », ce petit chef-d’œuvre d’analyse du travail que l’on doit à Christophe Dejours, un psychanalyste (peut-être le seul qui soit « lisible » par n’importe quel quidam) sans doute pas inconnu des syndicalistes qui s’intéressent de près aux conditions de travail. Christophe Dejours est en effet le fondateur de la Clinique du Travail et en a étudié tous les aspects. Cette « panne » qu’il analyse ici, c’est celle du sens du travail, non pas bien sûr du travail en général mais de celui organisé par le néolibéralisme. Il met les mots justes sur ce que vivent les travailleurs et, par là même, son livre est un véritable outil militant pour aborder les problèmes des conditions de travail et être au plus près de ses collègues de travail. Une base presque indispensable pour un syndicaliste, qui peut ouvrir de nouvelles approches. 176 pages, 8,50 €.
Le Jour avant le bonheur, d’Erri De Luca
Pas récent non plus mais coup de cœur qui n’en finit pas. Dans le Naples de l’immédiat après-guerre, un jeune orphelin a trouvé refuge dans un réduit. Le concierge de l’immeuble va devenir son père spirituel et sa soif de lecture fera le reste. Beau et émouvant comme l’humanisme. Folio, 160 pages, 7,40 €.
Reconnaître le fascisme, d’Umberto Eco
Dans ce court essai, Umberto Eco dresse une liste de caractéristiques qui, selon lui, permettent d’identifier le fascisme (un rappel aujourd’hui plus que jamais indispensable). Les voici : « Je laisse chacun se faire son avis sur quelle personnalité ou parti politique se rapproche des cases en question : le culte de la tradition ; le refus de la modernité ; le culte de l’action pour l’action (penser est suspect, la culture aussi, les universités sont un repaire de communistes) ; la condamnation de tout désaccord ; la peur de la différence ; la xénophobie ; l’appel à la frustration ressentie par les couches sociales intermédiaires ; le nationalisme ; des adversaires qui seraient opulents, dépravés, décadents ; la haine de la paix ; le mépris des faibles ; le culte de l’héroïsme ; le machisme et la condamnation de toute déviance de la norme sexuelle hétéro-masculine ; la négation de la volonté démocratique commune ; la novlangue orwellienne. » Et Umberto Eco de conclure : « Le fascisme peut revenir sous les atours les plus innocents. Notre devoir est de le démasquer et de pointer du doigt chacune de ses nouvelles expressions, tous les jours et partout dans le monde. » Grasset, 96 pages, 7,90 €.
Écrits sur le sport, de Per-Olov Enquist
De Mexico 1968 à Paris 2024. Parfois, le sport résume une époque. Par exemple avec l’histoire de John Carlos. En 1968, à Mexico, cet athlète dresse son poing ganté sur le podium des jeux Olympiques, incarnant la révolte contre l’Amérique raciste. Mais Carlos est banni et son combat vite oublié. Quatre ans plus tard, au moment des Jeux de Munich, pour ne pas crever de faim, il travaille comme représentant commercial de la marque de chaussures de sport allemande Puma. Triste dérision pour un homme qui était l’icône des Black Panthers. « Une panthère, un puma », synthétise cruellement Per-Olov Enquist. Cet immense écrivain suédois nous livre ici une trentaine de reportages sportifs tour à tour acides ou lyriques, et souvent visionnaires. Pour suivre Paris 2024 d’un regard mieux affûté. Actes Sud, 352 pages, 25,20 €.
Les Îles disparues de Paris, de Jacques Damade
Sous le pont Mirabeau… se cachaient des îles ! Avant que Paris ne devienne la ville des ponts, elle était celle des îles. Il y en avait une dizaine tout au long de la Seine, aujourd’hui englouties. Au milieu des eaux, elles dressaient leurs terres boueuses et leurs noms fleuris : île aux vaches, île merdeuse, île maquerelle… Dans ce livre précieux, Jacques Damade fait renaître une géographie disparue, aux eaux poétiques et chaotiques, loin du flot continu de notre fleuve parisien moderne. Éditions La Bibliothèque, 180 pages, 10 €.
Kanaky, de Joseph Andras
À l’heure où, une fois de plus, l’État français tente de réprimer dans le sang et l’injustice les révoltes des indépendantistes kanaks, et que, pour la première fois, un député indépendantiste kanak, Emmanuel Tjibaou, vient d’être élu à l’Assemblée nationale, ce livre de Joseph Andras est un indispensable rappel de la longue histoire des luttes pour l’indépendance de la Kanaky. Il trace en parallèle le portrait de l’archipel et du militant Alphonse Dianou, une figure des luttes anticoloniales. À travers son histoire, on retrouve toutes les questions qui se posent dans les luttes d’indépendance : celle de la violence et de sa légitimité, bien sûr, celle de la citoyenneté, aussi. Andras est un auteur engagé et talentueux, et sa plume sert à merveille ce récit plus que d’actualité. Actes Sud, 304 pages, 21 €.
Le Pilon, de Paul Desalmand
Et pour finir cette page « Livres », l’histoire d’un livre. Un livre qui raconte sa vie de livre. Livre acheté, prêté, perdu, trouvé, offert, racheté, abandonné, récupéré, revendu, qui raconte ses différents lecteurs, ce qui se passe dans les librairies qu’il a connues ou ses discussions avec ses voisins d’étagère. Trente-cinq petits chapitres qui sont autant d’aventures, drôles ou émouvantes, fourmillant de curiosités, comme des livres dans le livre et qui vous donnent envie de lire des livres. L’idée de départ est originale, le résultat brillant. Un régal. Quidam Éditeur, 170 pages, 8 €.