La loi de février 2005 sur le handicap a permis de nombreuses avancées en matière de prise en compte des élèves en situation de handicap. Mais ce qui est une bonne chose en soi finit par montrer ses limites tant les réalités sur le terrain sont niées et le manque de personnel criant, sans parler du peu de considération dont il fait l’objet. Derrière la vitrine de l’inclusion se cachent des réalités difficiles pour les élèves et les personnels. Usagers, personnels et organisations syndicales continuent de dénoncer les limites du droit à l’inclusion tel qu’il existe actuellement à l’école. En plus du désengagement de l’État, l’amalgame fait entre handicap et comportement ou difficultés scolaires brouille les pistes.

En 2021-2022 en France, 212 400 élèves en situation de handicap étaient scolarisé·es dans les écoles et 197 000 dans les établissements du second degré. Un nombre qui a augmenté de 20 % depuis 2017. L’Autonome de solidarité laïque (ASL) a dévoilé les résultats de l’étude sur le climat scolaire dans le premier degré en octobre 2023 : l’« école inclusive » est le principal problème évoqué par les personnels.

Toutes et tous à l’école, et débrouillez-vous

Si elle est présentée comme une école inclusive pour tous, c’est-à-dire une école qui « assure une scolarisation de qualité pour tou·tes les élèves, de la maternelle au lycée, par la prise en compte de leurs singularités et de leurs besoins pédagogiques particuliers »,il n’en reste pas moins que près des trois quarts des personnels rapportent des difficultés « fréquentes », voire « très fréquentes », avec des enfants « gravement perturbés » ou « présentant des troubles du comportement ». C’est presque deux fois plus qu’en 2011.

Les difficultés liées à la mise en œuvre de l’« école inclusive » sont désormais omniprésentes dans le discours des enseignants. Elles prennent une ampleur considérable et les personnels attestent d’une dégradation de la situation dans les écoles.

Alors que le nombre d’élèves en situation de handicap accueillis a augmenté, les personnels font état d’un manque de moyens permettant une réelle inclusion de tou·tes les élèves. La majorité des enseignant·es mais aussi des accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH) estiment ne pas être assez formé·es et expriment un vif sentiment « d’impuissance et d’abandon ». À Paris, on compte dix mille notifications MDPH (Maison départementale des personnes handicapées) pour seulement trois mille cinq cents AESH.

Le cas des Ulis (Unités localisées pour l’inclusion scolaire) est éclairant. Ce dispositif regroupe des élèves aux besoins très différents et certain·es élèves inscrit·es relèvent d’autres dispositifs (instituts médico-éducatifs, par exemple). Le lieu, la formation, le nombre de personnels ne sont guère adaptés.

De la difficulté scolaire à la “handicapisation”

La violence qui traverse de plus en plus la société abîme en priorité les populations les plus pauvres et les plus précaires, ce qui se traduit par une concentration toujours plus forte des élèves avec des PPS (projet personnalisé de scolarisation) dans les mêmes zones, voire les mêmes écoles. Mais que l’on se rassure, le gouvernement a trouvé la solution pour l’inclusion : tous à l’école, sans rien pour les accueillir et sans tenir compte de la tâche ardue des enseignant·es qui ont à gérer trop d’élèves à besoins éducatifs particuliers, alors que les dispositifs de prévention et d’accompagnement qui y ont ou avaient toute leur place font aujourd’hui défaut. Pire, il est prévu de fusionner les métiers d’AED et d’AESH en un seul, pour le prix d’un seul et en mutualisant les missions respectives, avec pour seul dénominateur commun que ce sont tous deux des métiers très précarisés, et majoritairement occupés par des femmes et des jeunes.

Chaque année, on constate une augmentation considérable du nombre d’enfants en difficulté à l’école et qui basculent vers le champ du handicap en raison des défaillances dans le diagnostic et la prise en charge de la difficulté scolaire. Il est à noter également un basculement du pédagogique vers le médical, plus spécifiquement neurologique. La constitution d’un dossier de demande de reconnaissance de handicap à destination de la Maison départementale des personnes handicapées se fait sans qu’un travail conséquent de réflexion collective, notamment sur les plans pédagogique, psychopédagogique et psychopathologique, ait pu avoir lieu, et ce malgré une pléthore de bilans. Cette absence de mise en sens et cette urgence de solutions rapides engendre la médicalisation, voire la « handicapisation » de la difficulté scolaire.

Personnel maltraité

En septembre, dans une lettre de rentrée, le ministère reconnaissait le mérite des AESH : « Depuis la loi du 11 février 2005, et plus encore depuis 2017, le métier a considérablement évolué. En quelques années, le métier d’accompagnant d’élèves en situation de handicap est devenu, en nombre de personnels, le deuxième métier de l’Éducation nationale. » Pourtant, ces personnels ne sont ni reconnus ni bien payés. Les défections sont nombreuses. Mutualisé·es, il leur arrive d’assurer la prise en charge d’élèves ne relevant pas de leur contrat et ne bénéficiant pas d’une notification MDPH.

Le ministère se targue de revaloriser leurs salaires de 10 à 13 % et de leur faire bénéficier d’une prime exceptionnelle moyenne de pouvoir d’achat de 500 € brut. Mais, en réalité, dans l’académie de Paris, les versements de salaires, primes et indemnités ont connu des retards en septembre et octobre, amenant les personnels concernés à une situation catastrophique. Même si leCDI leur est désormais proposé à l’issue d’un premier contrat de trois ans comme AESH, concrètement, la différence en matière de salaire reste minime.

Pour des choix différents

Il y a urgence à porter une autre politique d’accompagnement des élèves en difficulté ou en situation de handicap. L’École doit prendre en compte la réalité sociale des élèves. Il faut refuser les orientations par défaut, qu’il s’agisse de refus des parents ou de manque de place dans les structures adaptées, et dispenser une vraie formation diplômante et de qualité.

Il faut suffisamment de personnel qualifié, de locaux (salles au centre de l’école et non reléguées à sa périphérie), de mobilier et de matériel adaptés. Il ne s’agit pas de remettre en question l’école inclusive, mais la manière dont elle se fait, à l’économie et sans formation.