Pas de présent sans passé, les deux devant se conjuguer pour penser l’avenir. Aussi, à l’heure où, de Darmanin à Zemmour, on cible le migrant pour masquer qu’on tape sur les travailleur·ses, il n’est pas inintéressant de se pencher sur l’histoire dudit migrant, éternel bouc émissaire. Et il y a un lieu pour ça : le Musée de l’histoire de l’immigration à Paris. Visite.
Au bout de l’avenue Daumesnil, à la Porte Dorée, se dresse un imposant édifice architectural qui fut construit pour l’Exposition coloniale de 1931. Il accueillit alors huit millions de visiteurs en six mois, soit autant qu’au musée du Louvre durant les douze mois de 2022. Ce Palais des colonies fut ensuite baptisé Musée permanent des colonies puis, en 1935, Musée de la France d’outre-mer. Dans les années soixante, avec les indépendances, la glissade s’est poursuivie : Musée des arts d’Afrique et d’Océanie, jusqu’en 2007 où, avec la création du Musée du Quai Branly dédié aux cultures des quatre autres continents, il est devenu le Musée de l’histoire de l’immigration, abrité dans le palais de la porte Dorée.
Les marches de la vie
Faire d’abord quelques pas dans l’immense patio de l’édifice, comme un symbole magnifique et solennel de l’architecture orientale, que vous pourrez voir également d’en haut car le musée se situe au second étage du bâtiment. Les murs de l’escalier qui y mène sont parsemés des mots qui constituent le lexique – l’univers – du migrant : départ, avenir, passage, partir, hospitalité, langage, fuir, danger, attente, asile, séparation, refuge, nationalité, traversée, circulation, humanitaire, accueil, frontière, papiers, famille. Il faudrait s’attarder sur chacun de ces mots pour comprendre pleinement ce qu’ont dans le cœur celles et ceux qui sont là mais qui n’y sont pas né·es.
Mais pas que. Leurs enfants aussi. Et c’est une réelle satisfaction de constater que le public qui déambule dans le musée ce jour-là est presque exclusivement formé de jeunes gens issu·es, comme on dit, de l’immigration, avides de comprendre cette histoire-là, leur histoire. Affiches, déclarations, objets, petits films, objets, cartes géographiques comme autant de témoignages et d’outils pédagogiques pour comprendre près de quatre siècles de déplacements qui étaient et sont encore tout sauf touristiques.
Et pas que dans un seul sens. Ne pas oublier que trente-huit millions d’Européen·nes ont par le passé littéralement investi le continent américain (nord et sud), pas toujours dans un but colonisateur mais seulement dans l’espoir d’y trouver une vie meilleure ou parce que, indésirables, ils et elles étaient chassés de leur pays.
La migration est inhérente à l’être humain
La migration est un phénomène universel et qui remonte aux débuts de l’humanité. Nous sommes tous des migrants ou des descendants de migrants : qu’on vienne d’une autre ville, d’une autre province, d’un autre pays ou d’un autre continent, on est allé chercher ailleurs ce qu’on ne pouvait obtenir chez soi. Les capitalistes font d’ailleurs la même chose : avec les délocalisations, ils vont chercher ailleurs une main d’œuvre à bon marché qu’ils ne trouvent plus dans leur pays. La globalisation (appelée à tort « mondialisation »), c’est la migration des capitaux.
Notre musée expose une page du quotidien Le Temps (pas vraiment d’obédience prolétarienne) dans son édition du 27 janvier 1886 et met en relief ce passage : « Ne chassons point les ouvriers étrangers, visons plutôt à en faire des ouvriers français. […] Nous ne sommes pas une race, nous sommes une nation qui s’est formée depuis dix-huit siècles par les alluvions successives que cent peuples divers ont laissées sur notre sol. » Cette dernière phrase est à opposer toujours et partout à celles et ceux qui relaient les thèses lepeniennes ou zemmouristes. Qui prennent pour de dangereux envahisseurs de pauvres gens qui fuient des dangers ou qui recherchent le minimum pour survivre en prenant des risques qui nous paraissent complètement insensés parce qu’au péril de leur vie. Et qu’on le veuille ou non, ce musée est un lieu de mémoire.
Un être humain produit plus qu’il ne consomme, et c’est d’autant plus vrai dans les sociétés technologiquement avancées. Il enrichit donc la société dont il est membre. Mais cela est valable seulement dans le cadre d’un partage des richesses. Dans un système où la production de richesses est captée (ou, si vous préférez : la plus-value est rackettée) par des possesseurs d’outils de production ou d’actions, cela devient discutable, c’est-à-dire vrai ou faux selon les cas. C’est pour cela que Merkel a accepté neuf cent mille migrants et pas davantage (chiffre souhaité par le patronat allemand) ou qu’une Meloni d’extrême droite a besoin, quoi qu’elle pense et dise, de quatre cent cinquante mille travailleurs immigrés. Mais avec quels droits ?
Bonne visite. Qui plus est bien utile pour démonter les arguments fallacieux et éhontés de la droite et de son extrême.