Le 7 janvier, dix ans après l’attentat contre Charlie Hebdo, Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, a rendu hommage aux victimes sur les lieux du massacre.

« Je tiens d’abord à remercier les organisations syndicales de journalistes d’avoir organisé ce rassemblement en hommage aux victimes de l’attentat contre Charlie Hebdo.

« Il y a dix ans, le mercredi 7 janvier 2015 au matin, se tenait à quelques mètres d’ici la conférence de rédaction hebdomadaire de Charlie. Une conférence de rédaction, c’est le symbole même de l’exercice de la liberté d’expression : on y discute des sujets qui seront développés dans la prochaine édition, du contenu de la une, on échange, on débat, on argumente, on défend son point de vue, parfois on s’engueule, et parfois on rit aussi, particulièrement dans un journal satirique comme Charlie Hebdo, un des rares titres à faire encore la part belle au dessin de presse. Charlie Hebdo, une rédaction qui revendique son droit à rire de tout, y compris de la religion.

“Un massacre effroyable”

« Mais, en fin de matinée, c’est dans le sang que cette conférence de rédaction s’est achevée. Douze morts : les dessinateurs Cabu, Honoré, Wolinski, Charb, Tignous, l’économiste Bernard Maris, la psychanalyste Elsa Cayat, le correcteur Mustapha Ourrad, le militant associatif Michel Renaud, les policiers Franck Brinsolaro et Ahmed Merabet, et l’agent de maintenance Frédéric Boisseau, tués à l’arme de guerre. Un massacre effroyable. Suivi par le meurtre d’une policière municipale et de quatre clients et salariés de l’hyper casher, assassinés parce que juifs. Et chez les survivantes et les survivants, cet attentat a causé des blessures et des traumatismes qui, dix ans après, sont toujours ouverts. Certains, comme Coco et Philippe Lançon, en ont brillamment témoigné. Un autre, Simon Fieschi, grièvement blessé et traumatisé par le drame, nous a malheureusement quittés en octobre dernier.

« Cette journée du 7 janvier restera toujours dans nos mémoires à toutes et à tous. Chacune et chacun se souvient d’où il était à ce moment‐là, de ce qu’il faisait. Chacune et chacun se souvient du choc. Charlie est le journal qui, quelle que soit notre génération, a accompagné notre parcours militant. Il nous a fait souvent rire, parfois énervé, fait réagir et réfléchir. Il était devenu une référence des valeurs que la CGT s’attache à faire vivre : liberté de ton et de pensée, détermination dans la dénonciation des injustices, autodérision comme ressort de mobilisation. Compagnons de route, camarades parfois, ses journalistes ont toujours été à nos côtés. Je pense à Charb, bien sûr, qui dessinait chaque mois dans les colonnes de La Vie ouvrière, d’Ensemble et d’Options, je pense aussi à Honoré, à Tignous et à Wolinski.

“Nous nous sommes levés par millions”

« Déjà difficiles à trouver pour dire notre émotion il y a dix ans, les mots ont encore plus de mal à venir lorsqu’il s’agit d’ouvrir la réflexion sur les causes et les conséquences de cette folie meurtrière. Il est pourtant de notre responsabilité de le faire.

« Par cet acte terroriste, l’intégrisme religieux islamiste s’est attaqué aux fondements des valeurs de la République française : la liberté de la presse et d’expression, l’ordre républicain, incarné par la police, et la diversité d’origines et de cultes, la laïcité. Juives, musulmanes, chrétiennes ou athées, les victimes étaient à l’image de la France.

« Ils ont voulu nous mettre à genoux mais nous nous sommes levés, par millions, avec des manifestations spontanées organisées le soir même et qui ont débouché sur une énorme manifestation le 11 janvier 2015, où près de cinquante chefs d’État – dont des dictateurs patentés – ont été contraints de venir dire leur attachement aux valeurs de la Révolution française et de défiler pour la liberté et la démocratie. Il a fallu l’énergie de la rédaction de Charlie, des familles des victimes, de l’intersyndicale des journalistes pour que cet événement ne leur soit pas volé. Il a fallu la forte présence des organisations syndicales et particulièrement de la CGT, qui a assuré la sécurité de la manifestation, pour que les politiques et les chefs d’État aient la décence de ne pas s’imposer au premier rang et laissent la tête du cortège aux familles et aux survivants.

“Il est minuit moins le quart”

« Alors, dix ans après, que nous reste‐t‐il ? À l’heure où le renforcement de la citoyenneté, du vivre ensemble et des libertés était primordial, nous avons pourtant dû résister. Résister à la surenchère sécuritaire et aux sirènes guerrières qui se nourrissent du climat de peur et remettent en cause les libertés d’expression. Résister aux forces de l’argent qui s’accaparent les médias, tentent de museler notre liberté d’expression et roulent désormais ouvertement pour l’extrême droite, à l’image d’Elon Musk et de Vincent Bolloré. Résister à la montée de l’intégrisme religieux qui continue à tuer, en France et dans le monde. Après Charlie, il y a eu notamment les cent trente morts du Bataclan en 2016, et Samuel Paty.

« Surenchère sécuritaire, montée de l’extrême droite et intégrisme religieux, ces trois ingrédients se nourrissent et s’alimentent dans une spirale mortifère pour nos démocraties.

« Nous devons encore résister. Il est minuit moins le quart.

« Dix ans après Charlie, nous sommes dans un moment crucial qui doit permettre à celles et ceux qui résistent à l’intégrisme, au racisme, à l’antisémitisme, à l’extrême droite et au néolibéralisme de se serrer les coudes et de se rassembler. Se rassembler contre la haine de l’autre et pour nos libertés. Se rassembler pour le vivre ensemble et la solidarité. Et ce combat ce n’est pas celui des journalistes, pas seulement en tout cas, c’est celui de toutes et de tous les défenseur·es de nos libertés fondamentales.

« Aujourd’hui encore, dix ans après, notre responsabilité est, aux côtés de beaucoup d’autres, de se dresser face aux intimidations, aux menaces et aux agressions perpétrées par les ennemis de la liberté de penser, de la liberté d’opinion, de la liberté d’expression. Contre le fascisme, l’antisémitisme, le racisme, le fanatisme et l’intolérance, sous toutes ses formes.

« Ils veulent nous diviser. Plus que jamais, restons unis.»