Le musée Maillol consacre une exposition à celle qui, habitée par la peinture dès son plus jeune âge, a goûté, de Smolensk à Paris en passant par Varsovie, à presque tous les courants picturaux du xxe siècle. L’élève puis l’assistante de Fernand Léger deviendra sa compagne, mais saura aussi s’en émanciper. Militante du PCF, elle aura également été une résistante courageuse.

Née dans la campagne russe en 1904, Nadia Khodossievitch est très jeune habitée par le dessin et la peinture. Après avoir fréquenté l’école des beaux-arts locale, elle part, à 15 ans, suivre les cours de l’école supérieure de Smolensk. Nous sommes en 1919 et, depuis la révolution d’Octobre, l’enseignement artistique est gratuit. Elle va surtout se consacrer à des portraits au fusain. En 1923, direction Varsovie, où elle rencontre des cubistes, des constructivistes et des suprématistes (courant issu du cubisme qui n’utilise que des formes géométriques et des couleurs contrastées et dont le chef de file est Malevitch). Non seulement elle épouse leur style mais aussi l’un d’eux, Stanislas Grabowski. Deux ans plus tard, le couple débarque à Montparnasse. Là, elle rencontre les peintres de Paris et intègre l’« Académie moderne » de Fernand Léger, « la brute magnifique ». Peu après, elle quitte son mari, devenu alcoolique et violent, et se réfugie dans un hospice où elle met au monde une petite fille, Wanda. Hébergée dans une pension, elle y fait le ménage à l’aube avant de rejoindre l’atelier de Léger. Et bientôt l’élève devient sa compagne et son assistante. « Ma Tartare », dira le peintre en parlant d’elle.

Une production éclectique

Changement d’univers, changement d’école. Car Nadia est une éponge, elle se nourrit de tous les courants. Si elle n’est pas très connue du grand public, c’est sans doute en grande partie à cause de cela. L’ensemble de son œuvre ne reflète pas un style qui lui est propre mais les étapes artistiques de sa vie. En contemplant les œuvres de sa première période parisienne, on est parfois un peu à la peine pour les distinguer de celles de Fernand Léger (l’expo nous en offre à voir une bonne dizaine) avant que l’œil s’habitue et que les différences apparaissent. Mais c’est sans doute aussi parce qu’elle a vécu dans l’ombre du « maître ». On peut s’autoriser à penser qu’il n’y a pas que de l’admiration lorsqu’elle dit : « Léger, c’est un géant comme Picasso, Braque, Matisse. J’ai vécu près de lui écrasée. »

L’expo n’est pas non plus avare en photographies, notamment de l’atelier de Fernand Léger. On y voit l’« assistante » remplacer le maître et animer des séances. Elle guide, elle corrige les élèves. Parmi eux… Nicolas de Staël. On sent qu’elle peut se dépenser sans compter. Et pas seulement dans l’exercice de son art, dans le militantisme aussi. Elle adhère au PCF en 1932, et entrera dans la Résistance en 1941. Une grande photo nous montre une jeune fille glissant un tract sous une porte dans un immeuble de Montrouge. C’est sa fille, Wanda, en 1943.

Art et politique

Nadia va conjuguer peinture et militantisme en faisant des portraits de (dans le désordre) Eisenstein, Maïakovski, Lénine, Chagall, Marx, Brejnev, Staline, Tolstoï, Thorez, Picasso. Souvent, ils orneront les salles de congrès ou de meeting du parti. C’est l’époque d’un monde nouveau. Une classe ouvrière qui croit en elle et une économie qui s’industrialise. En 1956, Nadia Léger peint un autoportrait avec, en fond de tableau, des poteaux et des fils électriques. Comme un clin d’œil à la fameuse phrase de Lénine : « Le socialisme, c’est les soviets plus l’électricité. »

Toute sa vie, qui s’achèvera en 1982, cette fille d’Octobre aura été le contraire du peintre enfermé dans son atelier. Nadia est une compagne de route, elle est de toutes les aventures collectives, artistiques et politiques. Les cent cinquante œuvres que nous propose cette exposition en témoignent.

• « Nadia Léger, une femme d’avant-garde », musée Maillol, 59-61 rue de Grenelle, Paris 7e, jusqu’au 23 mars 2025, tous les jours de 10 h 30 à 18 h 30.