La confédération a tenue son 53e Congrès à Clermont-Ferrand du 26 au 31 mars. Cinq jours de débats, parfois véhéments, avec en toile de fond un mouvement social d’une rare ampleur, en lice des oppositions vigoureuses sur plusieurs sujets et, au final, une élection surprise. Un congrès qui fera date.

Les 942 délégué·es qui ont investi la Grande Halle d’Auvergne à Clermont-Ferrand étaient moins endormi·es que les volcans qu’ils pouvaient apercevoir au loin. Le climat social ambiant y était bien sûr pour quelque chose, les dissensions aussi. Mais tout le monde était au moins d’accord sur une chose : on ne lâche rien, jusqu’au retrait de la loi sur la « réforme » des retraites.

Cependant, les débats ont été houleux, et l’unanimité dans la lutte ne s’est pas retrouvée dans la salle plénière, au point que, chose jamais vue à la VGT, le rapport d’activité a été rejeté. Certes de peu, 49,68 pour et 50,32 contre, mais ça en dit long sur le mécontentement au sein des syndicats. Pour certains, le secrétaire général sortant s’est montré trop peu soucieux de la démocratie interne. Par exemple, il lui est reproché de n’avoir pas mis en débat la participation de la CGT au collectif « Plus jamais ça » et d’avoir mis tout le monde devant le fait accompli, ce que d’autres contestent en indiquant que le principe de cette participation avait été adopté dans le document d’orientation du dernier congrès.

“On va tout leur reprendre”

Autre reproche : un certain suivisme par rapport à la CFDT. Critique qui paraît malvenue aux yeux de contradicteurs qui soulignent que si la mobilisation sociale constatée aujourd’hui est exceptionnelle, c’est justement grâce à l’unité intersyndicale.

Beaucoup de délégué·es, et c’est normal, parlaient à partir de leur entreprise, de leur syndicat, de leur ville ou de leur fédération, mais ce qui est vrai ici ne l’est pas forcément là, et on sait bien que la « grève presse-bouton » n’existe pas, sauf dans des secteurs très limités – et de plus en plus rares. Sans doute que le mécontentement relève aussi d’une certaine amertume, après quarante ans de luttes presque toujours défensives, et ce congrès pourrait constituer aussi l’un des signaux qui surgissent de plus en plus aujourd’hui dans le champ politique, social et sociétal et que l’on pourrait résumer à l’expression : maintenant ça suffit. Ce qu’un délégué du secteur de la santé et de l’action sociale a formulé en d’autres termes : « On ne va pas reprendre que la retraite, mais tout leur reprendre. »

Le secrétaire général sortant ne se représentant pas, certains congressistes ont dû, en pensée, substituer au débat de fond sur le document d’orientation (D.O.) la question : qui pour le remplacer ? Mais avant, il y eut place à ce que le Peuple, le journal quotidien du congrès, a titré en « une » : « D.O. et débats ». Ainsi cette militante, qui s’inquiète que le document ne revendique pas un code du travail remis sur ses pieds par l’abolition de l’inversion de la hiérarchie des normes, la remise en place des CHSCT ou l’interdiction de licencier dans les entreprises qui versent des dividendes. Ou d’autres inquiets d’un trop grand rapprochement avec la FSU ou Solidaires. Finalement, après le dépôt de plusieurs milliers d’amendements et l’adoption d’une partie d’entre eux, le document d’orientation sera adopté par 72,79 % des voix.

Stopper une lente érosion

Il a aussi été largement question des effectifs syndicaux, sujet qui suscite une certaine inquiétude. Globalement, la CGT accueille chaque année quarante mille nouveaux adhérents et en perd cinquante mille. Pour remédier à cette érosion, il a été beaucoup question de vie syndicale, de culture d’organisation, et plusieurs pistes ont été évoquées.

« Le monde du travail et le salariat ont évolué. Nous devons prendre en compte cette transformation dans notre stratégie revendicative et rechercher la structuration la plus adaptée pour renforcer notre implantation syndicale », a déclaré le rapporteur du « thème 2 » (le D.O. étant découpé en trois thèmes). En attendant, l’actualité apporte sa réponse : la CGT a accueilli vingt mille nouveaux adhérents depuis la mobilisation contre la « réforme » des retraites. Et l’issue de la lutte ne sera pas sans incidence sur cette courbe.

Autres sujets qui posent problème, le rajeunissement – alors qu’il y avait 125 délégué·es de moins de 35 ans à Dijon pour le 52e Congrès et qu’on en espérait 200 à Clermont-Ferrand, ce congrès n’en accueille que 81 – et la féminisation, ce qui n’est pas nouveau. Certes, des progrès ont été accomplis, mais l’évolution est lente, trop lente. « Alors que 51 % des travailleurs sont des travailleuses, déclare un rapporteur, elles ne représentent que 39 % des membres de la CGT. Elles continuent à être sous-représentées dans les instances dirigeantes, à l’exception de la commission exécutive confédérale et du bureau confédéral, à totale parité. » On a bien noté des efforts : dans le secteur du textile et de l’habillement, la présence des femmes dans les organes de direction est passée, entre deux congrès, de 29 % à 43 %, et elle a même fait un bond de 5 % à 25 % à la Filpac (forcément, quand on part de 5 %…), mais ces exemples, s’ils sont encourageants, ne reflètent pas la réalité. Sur 33 fédérations, 8 seulement ont à leur tête une secrétaire générale. Même tonalité pour les UD : 23 sur 96. Camarades, encore un effort !

Au bout de la nuit

En la matière, un véritable signal fort avait été lancé en amont, quand le secrétaire général sortant avait proposé une femme, Marie Buisson, pour le remplacer. Mais le rejet du rapport d’activité fragilisait la direction sortante. Les « mécontents » (on les appellera ainsi étant donné que les oppositions n’étaient pas systématiques et parfois fluctuantes, ce qui rend difficile de réelles caractérisations) semblaient s’accorder à présenter une candidature concurrente en la personne de Céline Verzeletti. L’équipe de Marie Buisson pour constituer le bureau confédéral présentée par la commission exécutive confédérale n’a pas reçu l’approbation majoritaire du Comité confédéral national (CCN). Quant à Céline Verzeletti, elle n’est pas parvenue à constituer la sienne. C’est alors que Sophie Binet, dirigeante de l’Ugict, a proposé, comme un recours, et au bout de la nuit, une liste suffisamment bien dosée en « sensibilités » pour l’emporter, au final, avec un bureau confédéral presque entièrement renouvelé.

Ses premiers mots, après des remerciements nombreux et des marques d’apaisement à tout un chacun, ont été pour rappeler qu’à la sortie de ce congrès, « nous ne lâcherons rien, à commencer par la retraite. Pas de trêve, pas de suspension, pas de médiation ! » Le ton est donné.

__________________________________________

Le congrès en chiffres

  • 942 délégué·es présent·es (23 absent·es), porteur·ses de 565 042 voix (615 438 au congrès précédent).
  • 42 % de femmes.
  • 79,1 % de « primo-congressistes » (identique aux trois congrès précédents).
  • 81 délégué·es âgé·es de moins de 35 ans (soit 9 % alors qu’ils constituent 39 % des salarié·es).
  • Moyenne d’âge du congrès : 49 ans (47 ans lors du 52e Congrès).

__________________________________________

Entracte culturel

Dans un coin du vaste hall des exposants, les congressistes ont pu visiter deux très belles expositions. Celle du photographe Sebastião Salgado sur une mine d’or au Brésil, saisissants tableaux de la misère humaine. Et celle d’Ernest Pignon-Ernest, le père du street art ou l’art urbain.

__________________________________________

L’Appel du congrès (extraits)

[…] Non à l’allongement de la durée de cotisations, non à la retraite à 64 ans ! Oui au retrait pur et simple de cette réforme illégitime, injuste, injustifiable et injustifiée ! Il n’y aura ni médiation, ni compromis.

La CGT réaffirme son exigence d’une retraite pleine et entière à 60 ans avec des départs anticipés pour tous les travaux pénibles et le maintien de tous les régimes pionniers.

Les délégué·es du 53e Congrès de la CGT condamnent avec la plus grande fermeté les actes policiers et des patrons. D’où qu’elles viennent, les violences ne réduiront pas la colère du monde du travail qui anime cette mobilisation sociale historique. La CGT condamne les réquisitions et le non-respect du droit de grève, droit à valeur constitutionnelle. La CGT exige la suppression de toutes les poursuites judiciaires des militant·es dans le cadre d’actions syndicales et de manifestations.

[…] La CGT réaffirme l’ensemble de ses revendications : augmentation des salaires, Smic à 2 000 €, remise en place de l’échelle mobile des salaires, dégel du point d’indice…

[…] Face à cette oppression du capital et de ses relais et face à l’urgence climatique, nous confirmons nos valeurs fondamentales de classe, de masse, de démocratie et d’indépendance. Nous réaffirmons que dans cette lutte violente du capital contre l’humanité et la planète, notre force est d’œuvrer à rassembler le monde du travail le plus largement possible, comme la CGT le fait depuis 128 ans.

Les congressistes du 53e congrès rappellent leur engagement dans le combat pour l’égalité entre les femmes et les hommes ainsi que la lutte contre toutes les discriminations et toutes les violences sexistes et sexuelles.

[…] Les délégué·es du 53e Congrès appellent également le monde du travail à garder la plus grande vigilance et la plus grande fermeté contre l’extrême droite et ses idées nauséabondes.

[…] Le 53e Congrès appelle les salarié·es, retraité·es, privé·es d’emploi et les jeunes à s’engager dans toutes les luttes proposées, menées et organisées par la CGT et à la reconductibilité sous toutes les formes. Le 53e Congrès appelle l’ensemble des salarié·e.s à poursuivre leur engagement dans les grèves en cours, à venir amplifier les mobilisations et à rejoindre la CGT pour lutter toutes et tous ensemble. Jusqu’à la victoire !