Depuis le 1er novembre, les livreurs des plates-formes Uber Eats, Deliveroo et Stuart ont débrayé à de nombreuses reprises. L’élément déclencheur ? La baisse de la rémunération des livreurs d’Uber Eats, consécutivement à une évolution de l’algorithme qui calcule le montant de la course.
Alors que tout augmente, Uber Eats réduit la paie. La rémunération à la commande, auparavant calculée par un tarif kilométrique déjà trop bas, est maintenant calculée par un algorithme inconnu de tous. Suite à l’interpellation de la CGT et des autres organisations syndicales, Uber Eats n’a rien trouvé de mieux à répondre que « circulez, y a rien à voir », prétendant que ce nouvel algorithme est plus rémunérateur sur le long-terme, malgré la diminution observée par tous et toutes, avec des commandes tarifées 2,85 €. C’est le paiement à la tâche, qui permet donc de pousser la rémunération des livreurs vers le bas, profitant de la précarité générale pour les mettre en concurrence.
Prenant ses responsabilités, la CGT s’est associée à l’organisation d’un appel unitaire à la grève les 2 et 3 décembre réunissant les livreurs autour du mot d’ordre commun d’augmentation significative des rémunérations et de transparence de son calcul, et concernant l’ensemble des livreurs de plates-formes (Uber Eats, Deliveroo, Stuart). Des initiatives se sont donc succédé partout en France, dans les grandes métropoles comme dans des communes de petite taille, avec plus d’une cinquantaine d’appels à la grève recensés et plus d’une vingtaine d’initiatives centrales dans certaines villes (rassemblements, manifestations).
Un mouvement d’ampleur
Le nombre exact de grévistes est impossible à déterminer, compte tenu de l’absence de planification des horaires, qui rend le recensement impossible. D’autant plus que beaucoup restent devant le restaurant où ils ont l’habitude de travailler, ou en profitent pour rentrer chez eux sans participer aux initiatives proposées. De nombreux indicateurs soulignent néanmoins l’ampleur de ce mouvement de grève. Par exemple, les messages transmis par Deliveroo et Uber Eats aux restaurants partenaires, où il était demandé aux restaurants de contacter un Numéro vert s’ils avaient des difficultés à écouler leurs commandes. Mais, surtout, la multiplication des assemblées générales dans de nombreuses villes pour préparer ces deux jours de grève. Enfin, l’augmentation significative du prix des commandes lors de la grève (le nouvel algorithme intègre l’offre et la demande dans son calcul) et les primes proposées par les plates-formes pour casser la grève montrent bien l’ampleur du mouvement.
Avant la grève, la direction d’Uber Eats avait indiqué aux organisations syndicales qu’elle était disposée à négocier. Mais en l’absence des autres plates-formes, la CGT a maintenu l’appel à la grève. Car le système de « dialogue social » propre aux plates-formes de livraison ne permet de garantir aucun droit supplémentaire. Au contraire, il se fait en dehors du champ classique de la négociation collective, sans respect du code du travail ou de la convention collective du transport routier. Il sert de caution à la mise en place, en France, d’un « tiers statut », c’est-à-dire d’aménagements à la marge ne venant pas remettre en cause le modèle économique de paiement à la tâche.
Pression sur les négociations
La question de la rémunération avait déjà été abordée au printemps dernier. Un accord prévoyant une rémunération horaire garantie pour les livreurs avait alors été signé par une organisation de petits patrons autorisée à siéger. Un accord battu en brèche par la CGT car il ne prend pas en compte les temps d’attente mais seulement le temps en commande, cautionnant ainsi le non-paiement du temps de travail effectif. La CGT avait alerté qu’un tel accord allait pousser à la baisse la rémunération à la commande, ce qui est chose faite chez Uber Eats depuis le 1er novembre.
Cette mise en échec devrait faire sourciller les négociateurs de la directive européenne pour l’amélioration des droits des travailleurs de plates-formes de travail en cours de discussion au niveau européen. Au niveau national, la négociation de branche était prévue le 5 décembre. L’initiative des 2 et 3 décembre, assez largement suivie, aura permis aux négociateurs d’arriver dans une position plus favorable pour arracher de nouveaux droits dans un secteur où, derrière l’image cool de ces plates-formes et de la start-up nation, se cache une véritable jungle libérale qui piétine les droits collectifs et les individus.
Ludo Rioux