C’est l’été, la chaleur revient et, avec elle, des envies d’aller piquer une tête à la piscine, n’est-ce pas ? Vous entassez alors dans votre sac à dos maillot de bain, bonnet et serviette et courez sur paris.fr afin de localiser la piscine ouverte la plus proche de chez vous. Quelle chance vous avez ! Habitant dans le 19e, vous avez à proximité deux des plus grandes et des plus belles piscines de Paris, Georges-Hermant et Édouard-Pailleron. En y arrivant, vous êtes accueilli·e par les logos et les signalétiques Ville de Paris, les tarifs Ville de Paris, et vous ressentez une furieuse envie de profiter de ce service public essentiel. Pourtant, ce ne sont pas des piscines gérées par la Ville de Paris et ce ne sont plus vraiment des services publics. Dans Paris, un peu plus d’une piscine sur trois est gérée par une société privée pour le compte de la Ville de Paris (les autres sont gérées en régie directe). C’est ce que l’on appelle les délégations de service public (DSP dans le jargon des initié·es). Plongée dans une des nombreuses machines à broyer l’humain du libéralisme.

Le principe du capitalisme libéral n’est pas si compliqué : on crée un besoin pour la population (réel ou fabriqué de toutes pièces), cela ouvre un nouveau marché et des acteurs privés se positionnent dessus pour répondre à la demande, gagner des parts de marché et générer ainsi du profit pour les patrons et les capitalistes. Les travailleuses et les travailleurs comme nous vendent à ces capitalistes leur force de travail pour subsister et payer nos loyers toujours plus exorbitants. Parmi les nouveaux marchés qui ont bousculer l’économie, on peut évoquer la livraison à vélo et de multiples domaines du numérique. Le capitalisme est toujours à la recherche de nouveaux espaces à « marchandiser », de nouveaux besoins sur lesquels faire du fric. Les gouvernements successifs des dernières années, quelles que soient leurs couleurs politiques, travaillent à rogner sur nos conquis sociaux pour dégager de nouveaux marchés pour la classe capitaliste. C’est notamment ce qui se passe avec la casse de l’éducation publique ou avec nos retraites, qui ouvre la voie aux acteurs privés (éducation catholique, Acadomia et compagnie pour l’éducation, caisses de prévoyance et d’épargne privées pour nos retraites).

Dans le domaine des équipements sportifs, c’est la même chose. Les piscines, les patinoires et quelques autres équipements étaient jusqu’à récemment un bien commun, géré dans l’intérêt du public (en tout cas en théorie) par les collectivités locales. On n’imaginait pas que l’on puisse en tirer bénéfice, d’autant que les coûts de fonctionnement sont très importants. On y apprenait donc à nager ou à patiner avec l’école, le club de sport ou les parents, sous la surveillance et la pédagogie de fonctionnaires territoriaux compétent·es, installé·es sur leur lieu de travail et formé·es pour cela.

Mais depuis les années quatre-vingt-dix, les délégations de service public (DSP) se sont développées et viennent bousculer cet état de fait. Une poignée de groupes spécialisés dans ce domaine se partagent désormais ce nouveau marché, devenu très concurrentiel. À Paris, quatre groupes sont présents : Récréa (six piscines), Vert Marine (deux), Prestalis (deux) et UCPA (une). Le bassin et ses infrastructures appartiennent toujours à la Ville, mais elle confie la gestion quotidienne et le recrutement des salarié·es à l’une de ces entreprises. Pour remporter les marchés, il faut baisser les coûts tout en continuant de vendre un produit attrayant aux collectivités. Ces sociétés de gestion se positionnent dans le cadre d’appels d’offres afin de gérer ces établissements sportifs.

Comme toujours dans notre société capitaliste, les patrons sont maîtres dans l’art de privatiser les gains mais de socialiser les pertes. Ainsi, rapport de la Cour des comptes à l’appui, la Ville de Paris assure en moyenne le financement de 98 % des frais relatifs à la gestion de l’équipement contre une modeste rente annuelle. Pendant ce temps, l’entreprise maximise ses gains en « optimisant » le fonctionnement de l’établissement, au détriment des salarié·es et du public.

Salarié·es et usager·es en danger

Ce sont donc les travailleuses et les travailleurs (de droit privé) de ces DSP qui subissent en premier lieu la pression de la rentabilité, et les salaires de misère qui vont avec. Les agent·es techniques de ces DSP seront payé·es au Smic et le resteront tout au long de leur carrière ; elles et ils subiront des cadences de nettoyage infernales et n’auront que très peu de possibilités d’évolution. Les maîtres-nageurs (MNS) feront principalement de la surveillance des bassins et seront utilisés en tant qu’animateurs afin de vendre le plus d’activités possible et d’encaisser un maximum de chiffre d’affaires. Ils et elles devront arrondir leurs fins de mois en assurant, en plus de leurs heures de travail, des leçons particulières ou des missions dans d’autres établissements sous statut indépendant. Mais ce surplus de travail entraîne nécessairement des conséquences sur leur santé et sur la qualité du service. Et derrière, ce sont les usagers et les usagères qui trinquent.

Ne nous y trompons pas : sous prétexte de réduction des coûts, la pratique des DSP a des conséquences réelles sur la sécurité et l’hygiène dans les bassins. En plus de surveillances moins efficaces en raison de personnels épuisés, l’hygiène de l’eau et de l’air en pâtit également. Dans une piscine, le premier coût est toujours l’énergie. Ainsi, chauffer l’air et l’eau est la première dépense à engager. Pour gagner de l’argent, ces entreprises vont effectuer moins d’apport d’eau (ajouter de l’eau « neuve » non filtrée afin d’assainir sa qualité) et vont baisser la quantité d’air neuf (air provenant de l’extérieur, plus pur mais qui nécessite d’être chauffé) en circulation dans l’établissement. Résultat des courses : eau toxique pour les usager·es, et air toxique pour tout le monde, salarié·es et usager·es (notamment à cause des chloramines et des trichloramines, qui sont des produits cancérigènes issus de la rencontre entre des pollutions humaines et le chlore). Enfin, ces entreprises vont dévoyer ce service public en y vendant des articles commerciaux, de la petite restauration et toutes sortes de prestations sportives ou de « bien-être ». Le catalogue s’allonge autant que la facture pour la collectivité et le client.

La CGT s’engage pour des services publics pour toutes et tous

La multiplication des épisodes caniculaires, liée au réchauffement climatique, et la question énergétique font peser des enjeux particuliers sur les piscines, les patinoires et les autres équipements sportifs. Pour les prendre en compte, il est indispensable que ces équipements reviennent dans le giron des collectivités locales, sous gestion des travailleur·ses et sous contrôle de la population. Pour la CGT, la Ferc (qui syndique les salarié·es du privé dans le sport) et la Fédération des services publics (qui syndique les fonctionnaires territoriaux), en lien avec les unions locales et départementales, travaillent de concert pour organiser les travailleurs et les travailleuses et construire les solidarités au-delà des différences de statut, de rémunération et de conditions de travail. La reprise en régie directe de tous ces équipements sportifs actuellement en gestion déléguée est essentielle. Essentielle pour les salarié·es maltraité·es et mal considéré·es du secteur. Essentielle aussi pour refaire de ces établissements des services publics uniquement au service de la santé publique et de l’enseignement du sport accessible à toutes et à tous, et les soustraire aux diktats de l’argent.