Le 10 septembre 2024, les syndicats de l’Inspection du travail et de la MSA (secteur de l’agriculture) organisaient une journée d’initiatives, vingt ans après le double meurtre à Saussignac de Sylvie Trémouille et Daniel Buffière. Ces initiatives rendaient hommage aux deux agents abattus au fusil le 2 septembre 2004 par un petit patron agricole qu’ils contrôlaient. Et elles portaient deux exigences pour le présent.
La tristesse et la colère étaient les deux moteurs de la journée marathon du 10 septembre 2024 organisée à Paris par l’intersyndicale CGT, CFDT, CNT, FO, FSU et Solidaires. Elle a consisté en un rassemblement devant le ministère du Travail, suivi d’une réunion intersyndicale interne et enfin d’une réunion publique, à 17 heures, dans la salle Hénaff. Cette journée de mobilisation portait une double exigence. Premièrement, les travailleurs, pour voir leurs droits respectés, ont besoin que leur employeur soit contrôlé. Deuxièmement, les contrôleurs du travail ont besoin que leur employeur public respecte leur indépendance, les soutienne et leur donne les moyens d’accomplir leurs missions.
Le contrôle de l’application de la législation du travail est régi par la 8e partie du Code du travail. L’article L. 8112-1 prévoit notamment que les agents de contrôle de l’Inspection du travail disposent d’une garantie d’indépendance dans l’exercice de leurs missions au sens des conventions internationales concernant l’inspection du travail (en l’occurrence la Convention 81 de l’OIT). Mais lorsqu’un préfet dit qu’il faut de la bienveillance dans le contrôle du droit du travail, l’indépendance est attaquée. Pour l’État au service du capital, les contrôles entraveraient l’activité des entreprises ! L’administration préfère parfois protéger les patrons et réprimer les inspecteurs du travail, ce qui fut le cas d’Anthony Smith.
Toujours et encore des coupes budgétaires
De plus, des centaines de sections d’inspection du travail sont en sous-effectif, mettant leurs missions en péril. L’austérité est déjà une réalité, qui risque d’être aggravée par les nouvelles coupes budgétaires annoncées par Bercy. De fait, le manque de moyens est ressenti dans tous les services publics. Ça ne tient plus, ou ça tient encore un peu par l’engagement des agents. Mais les campagnes anti-fonctionnaires sont ravivées, à l’initiative de la droite politique et médiatique. L’extrême droite insinue que les cadres de la fonction publique seraient une élite. Ce populisme attise les tensions dans une société où la loi, protectrice et égalitaire, est considérée comme une entrave au libre marché et à l’exploitation. La nouvelle contre-réforme de la fonction publique, pour l’instant suspendue, prévoit d’individualiser la carrière des fonctionnaires, et de tenir compte du « mérite ». Mais quel mérite ? Celui d’Anthony Smith ou celui des conformistes ?
Le Medef a déclaré que la pénibilité ne fait pas partie de son vocabulaire. Face à un capitalisme prêt à tout pour accroître ses profits, le monde du travail a besoin de différents boucliers : syndicats, IRP, conseils de prud’hommes, inspections par les services de l’État. Avec les ordonnances Macron, plus de la moitié des représentants du personnel ont été supprimés. Pour les salariés isolés et précaires, l’Inspection du travail est le principal rempart.
Des notes optimistes
Comme à Saussignac en 2004, mais aussi en 2024, le monde agricole est violent envers les travailleurs. La FNSEA et la coordination rurale y véhiculent des thèses réactionnaires et emploient la violence pour contrer un autre modèle agricole, dont les normes sociales et écologiques seraient rehaussées. En 2022, deux femmes de la Police de l’eau qui avaient été menacées par un groupe d’agriculteurs n’ont pas bénéficié du soutien qu’elles attendaient de leur administration et de la justice.
La réunion publique unitaire du 10 septembre, qui a drainé un public nombreux, fut riche et dynamique. Cyrielle Chatelain, présidente du groupe écologiste à l’Assemblée nationale, et Guillaume Gontard, président du groupe écologiste au Sénat, ont pris la parole pour apporter leur soutien. Parmi les autres présents, citons pêle-mêle Gérard Filoche, Benoît Martin, Agathe Le Berder (confédération CGT) ou Benoît Teste (FSU). Elle s’est conclue par des notes optimistes autour de la combativité des collègues de l’Inspection et des salariés de l’INRS (Institut national de recherche et de sécurité), de l’unité syndicale et de la gauche (NFP), des publications du collectif « Nos services publics », du débat à venir à la Fête de l’Huma sur les morts au travail, et enfin de la journée de lutte du 1er octobre.
Personne ne devrait mourir au travail. Ni les travailleurs en général, ni les fonctionnaires qui contrôlent les patrons.