C’est en 1924 qu’André Breton publia un texte qui fut considéré alors comme le « Manifeste du surréalisme ». Aujourd’hui, pour célébrer ce centenaire, le Centre Pompidou propose une vaste rétrospective de ce mouvement qui se voulut et qui fut révolutionnaire.

C’est quoi, le surréalisme ? Laissons à son chef de file, André Breton, le soin de le définir : « Automatisme psychique pur par lequel on se propose d’exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l’absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale. » Plus succinctement, c’est l’imagination débridée, ce que ne manque pas de confirmer l’exposition qui nous est offerte. Tableaux, dessins, collages, sculptures, photos, films, livres et documents littéraires témoignent de la richesse inventive de ce mouvement, qui décidera officiellement de sa propre mort en 1969.

Car il s’agissait bien d’un mouvement, avec ses élans, ses enthousiasmes, mais aussi ses désaccords et ses remises en cause. André Breton ne fit pas toujours l’unanimité. Ses positionnements politiques l’ont étroitement rapproché du PCF. Dans le second manifeste du surréalisme publié en 1929, il prône le militantisme politique et souhaite faire adhérer tout le mouvement au PCF, avant de s’en éloigner. En 1935, il rompt avec le PCF à l’occasion du Congrès des écrivains pour la défense de la culture après les calomnies proférées à l’égard du surréalisme par l’écrivain russe Ilya Ehrenbourg. Et, en 1938, il cosignera Pour un art révolutionnaire indépendant avec Trotski, qu’il a rencontré au Mexique. Tous ces positionnements ne furent pas adoptés avec le même tempo par les surréalistes, et si tous se réconcilièrent pour s’opposer au fascisme, plusieurs ruptures seront consommées, parmi lesquelles, par exemple, celles avec Aragon et Éluard.

Foisonnement créatif

L’exposition, sobrement intitulée « Surréalisme », est foisonnante par le nombre d’œuvres exposées (elle mériterait au moins deux visites), comme elle l’est par l’inventivité et la créativité des artistes qui ont constitué ce mouvement. Chaque salle – treize au total – porte un nom : Trajectoire du rêve, Chimères, Mélusine, etc., dédiée chacune à l’un des thèmes chers aux surréalistes. L’expo est conçue comme un labyrinthe mais dans lequel – un comble… surréaliste – on ne se perd pas.

Bien sûr, tout le monde est là. Pour les poètes, Breton (que l’on entend grâce à un procédé issu de l’intelligence artificielle reproduisant sa voix), Apollinaire, Soupault, Aragon, Éluard, Benjamin Péret, Michel Leiris et bien d’autres, à l’origine de « l’écriture automatique » et des « cadavres exquis ». Pour les peintres (et pour certains également sculpteurs), Giorgio de Chirico, André Masson, Yves Tanguy, Picasso, Giacometti, Dali, Max Ernst, Wifredo Lam, Joan Miró, René Magritte. Sans oublier le photographe roumain Brassaï, et surtout sans rater les formidables photomontages de Dora Maar. Car les femmes, cette fois, n’ont pas été oubliées qui, par le passé, avaient été bien souvent cantonnées à un rôle secondaire par une certaine critique. Or, aucun mouvement du XXe siècle n’aura compté autant de femmes parmi ses membres, loin du statut de muses auquel on a souvent voulu les réduire. Leur présence étant attestée dans les revues comme dans de nombreuses expositions internationales du surréalisme, du moins à partir des années 1930, tant dans les arts plastiques qu’en littérature. C’est ainsi qu’on découvrira aussi avec intérêt, et parmi d’autres, les œuvres de Leonora Carrington, Ithell Colquhoun ou Dorothea Tanning.

Exposition imposante donc, mais comment faire autrement avec un mouvement littéraire et artistique qui a duré, chose rare, quatre décennies ? Un mouvement qui a tout bousculé sur son passage, nous a montré un autre monde pour mieux ressentir le nôtre. Avec sa capacité à évoquer la nature, à remettre en question la rationalité technique et le capitalisme, avec son intérêt pour la diversité culturelle, les arts africains, amérindiens, cette exposition nous en met plein les yeux et rappelle la puissante modernité du surréalisme tout comme son incroyable retentissement politique. Le Centre Pompidou, qui va fermer durant plusieurs années pour travaux, voulait sans doute se faire regretter.

• « Surréalisme », Centre Pompidou, jusqu’au 13 janvier 2025. Tous les jours sauf mardi de 11 heures à 21 heures (le jeudi jusqu’à 23 heures). 17 €. Visites guidées le samedi à 16 heures et le dimanche à 14 heures et 16 heures.