
Les accidents de travail dans le secteur privé (ils sont appelés « accidents de service » dans la Fonction publique) sont largement sous-déclarés, quand ils ne le sont tout simplement pas. Or, il n’y a pas un jour sans que quelqu’un meure au travail ou soit mutilé par une machine. 650 000 victimes reconnues par an, 600 à 700 morts, et bien plus si on y ajoute les suicides et les maladies professionnelles. Les jeunes hommes et intérimaires, sous-formés et mal équipés, sont surreprésentés dans les secteurs à risques.
« Est considéré comme accident du travail, qu’elle qu’en soit la cause, l’accident parvenu par le fait ou à l’occasion du travail à toute personne travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d’entreprise » (article L 411-1 du Code de la Sécurité sociale. La rédaction du « Document unique d’évaluation des risques professionnels » (DUERP) est obligatoire depuis le 5 novembre 2001. L’employeur y inscrit les résultats de son évaluation portant sur les risques identifiés dans chaque unité de travail de l’entreprise ou de l’établissement pour la santé et la sécurité des travailleurs.
Jusqu’en 1903, les travailleurs relevaient du droit commun pour se protéger contre les accidents. Pour obtenir réparation d’un dommage causé par un accident du travail, il leur fallait apporter la preuve de la responsabilité de l’employeur. En 1903, le « risque professionnel » était partagé solidairement par le travailleur et l’employeur, ce dernier étant tenu de supporter les risques encourus du fait de son activité économique. En 1951, le principe de la réparation intégrale par l’employeur s’est substitué à celui du partage de la responsabilité du risque.
Mais d’ordinaire, les employeurs limitent leur responsabilité au respect des règlements en vigueur. Aussi, les protocoles mis en place contre la pandémie se substituent à la responsabilité professionnelle de l’employeur, le risque y étant défini, mais loin des réalités.
Des réalités concrètes, singulières et macabres
La presse quotidienne régionale a établi un bilan non exhaustif des accidents du travail survenus durant le premier semestre 2021 : 163 mortels, dont 41 pour le BTP, 28 chauffeurs routiers, 18 agriculteurs et ouvriers agricoles, 13 ouvriers de l’industrie, 9 marins et marins-pêcheurs, 8 bûcherons/élagueurs, 6 livreurs de repas, 5 militaires, 3 pompiers, 2 policiers… Des accidents graves et mortels sont relevés sur les chantiers, tel le Grand Paris (future ligne 16) et dans les grands groupes comme Amazon, EDF mais aussi dans les exploitations agricoles et le secteur professionnel de la pêche, où l’on comptabilise mille blessés par an et un taux de mortalité dépassant, en 2019, celui des travailleurs du bâtiment et des travaux publics.
Même en période de confinement, la condition des travailleurs n’est guère meilleure. Les marins, qui transportent 90 % des marchandises mondiales, ont cumulé un an et demi de bord alors que la convention du travail maritime de 2006 en limite la durée maximale à onze mois. Équipages non relevés, heures de repos ignorées, remplacées par des heures de travail non rémunérées, systèmes essentiels à la sécurité négligés, remplacés par des inspections superficielles à distance… Plusieurs cas de suicide ont été recensés.
Non déclarés, invisibilisés
Tout est fait pour inciter les travailleurs, notamment les intérimaires, à ne pas déclarer les accidents. Largement minorés, plus d’un millier d’accidents du travail ont été déclarés par Amazon en 2019, soit trois accidents par jour. L’enseignement supérieur et la recherche ne sont pas en reste : deux accidents mortels ont été sous-déclarés chez les personnels travaillant sur les prions. Et pour cause : le parcours de réparation des victimes est semé d’embûches. À chaque étape, faire valoir ses droits à réparation est une épreuve. L’autocensure y est prégnante, suscitée par le sentiment d’impuissance et la crainte de perdre son emploi, en particulier chez les précaires. Le renoncement et la banalisation des accidents sont des réalités que l’invisibilité institutionnalisée des accidents du travail vient renforcer.
La campagne des 32 heures que mène la CGT est pertinente car travailler moins, c’est travailler mieux. C’est salutaire en termes d’amélioration de la qualité du travail, de santé et d’équilibre des salariés, mais aussi en termes de résultats économiques, comme en témoignent les résultats des entreprises passées aux 32 heures. Une avancée majeure pour l’ensemble de la société.