© Pierrick Villette

Le 8 février 1962, neuf manifestants meurent au métro Charonne lors d’une manifestation pour la paix contre les attentats de l’OAS et pour l’indépendance de l’Algérie. Soixante ans après, les victimes demandent toujours la reconnaissance d’un « crime d’État ». Un hommage leur était rendu, en présence de Delphine Renard, Philippe Martinez, Fabien Roussel et de plusieurs centaines de personnes.

Pour dénoncer les agissements de l’OAS ainsi que la guerre d’Algérie, une manifestation est organisée à Paris le 8 février 1962 à l’appel du Parti communiste français et d’autres organisations de gauche. Étant donné le contexte des plus tendus et l’état d’urgence décrété en avril 1961 suite au putsch d’Alger, cette manifestation est interdite. Avec l’accord du ministre de l’Intérieur Roger Frey et du président de la République Charles de Gaulle, le préfet Maurice Papon donne l’ordre de réprimer cette manifestation. Parmi les manifestants qui essayèrent de se réfugier dans la bouche de la station de métro Charonne, huit militant·es trouveront la mort, écrasé·es ou à la suite de fractures du crâne, ainsi qu’un neuvième à l’hôpital, des suites de ses blessures. Toutes et tous étaient adhérents de la CGT.

“Le sang qui était sur moi n’était pas le mien”

La veille, Delphine Renard, une petite fille de 4 ans, est grièvement blessée au visage lors d’un attentat au domicile d’André Malraux. Sa photo a ému les Français, entraînant une grande mobilisation commune des partis de gauche et des syndicats : le PCF, le PSU, la CGT, la CFTC et l’Unef notamment. Ce 8 février 1962 à Paris, Maryse Tripier participe à cette manifestation pour la paix en Algérie et qui dénonce les attentats de l’OAS (Organisation armée secrète). Au moment de la dispersion de ce cortège majoritairement communiste. elle n’a pas entendu l’ordre donné par les organisateurs que, déjà, la police charge sur le boulevard Voltaire. « La plupart des policiers qui étaient là étaient des brigades de district, des volontaires anticommunistes, antialgériens, alors je me suis dit qu’il fallait que je m’en aille. »

Prise dans la foule, elle chute dans les escaliers du métro Charonne. En haut, sur le boulevard, les membres des brigades spéciales de la préfecture de police, dirigées par le préfet Maurice Papon, jettent des grilles en fonte, des tables de café en métal sur la masse comprimée des manifestants. Maryse parvient à s’enfuir par le métro, aidée par des camarades. « Le sang qui était sur moi n’était pas le mien, la personne en dessous de moi – c’était un monsieur – je pense qu’il est mort. » Elle rentre chez elle, retrouve ses parents. « C’était un choc, une sidération. » Elle souffre de contusions mais « ce qui est le plus important, ce n’est pas d’être blessée, c’est d’être survivante ».

“Ils m’ont volé mon père”

La répression sanglante au métro Charonne fait environ deux cent cinquante blessés, à des degrés divers. Elle tue neuf personnes, dont Jean-Pierre Bernard, 35 ans. Cet agent des PTT, dessinateur, syndiqué CGT et membre du Parti communiste, est lui aussi tombé dans la bouche du métro, son corps comprimé par la foule. « Il a voulu prendre le métro et il est tombé sur des personnes déjà tombées devant lui. Il est mort étouffé, la rate éclatée par la pression des kilos et des kilos qu’il avait sur lui », raconte son fils, Yves Bernard.

À l’époque, Yves n’a que 2 ans : « Ils m’ont volé mon père. Le seul souvenir que j’ai, ce sont des photos qu’on avait à la maison ou qui sont parues dans la presse. » Toute sa vie, Yves a porté la mémoire de son père et des victimes de cette « répression sauvage, comme on n’en a pas vu beaucoup dans ce pays ». Il dénonce la responsabilité des policiers « volontaires dans cette brigade, tout à fait identifiables, et qui n’ont jamais été condamnés », les lois d’amnistie post-guerre d’Algérie empêchant toute procédure judiciaire.

Cinq jours après la répression, des centaines de milliers de personnes se rassemblent au Père-Lachaise pour les obsèques des militants tués. Charonne va constituer un tournant, un basculement de l’opinion publique française, qui va aboutir le 19 mars 1962 à la fin de la guerre et le 1er juillet 1962 à la proclamation de l’indépendance de l’Algérie. En donnant leurs vies pour la justice, la liberté et la paix, ces militants ont œuvré pour que vivent toutes les valeurs du progrès social, de l’antiracisme et de la solidarité.

C’est ainsi que Anne-Claude Godeau, Fanny Dewerpe, Suzanne Martorell, Daniel Fery, Jean-Pierre Bernard, Édouard Lemarchand, Hyppolite Pina, Maurice Pochard et Raymond Wintgens furent lâchement assassinés. Ces neuf militants étaient tous adhérents à la CGT, huit d’entre eux étaient également des militants du Parti communiste.