Poète, résistante et grand reporter, Madeleine Riffaud est l’héroïne d’une bande dessinée en trois volumes. Le deuxième tome sortira au mois d’août prochain. L’occasion de revenir sur le parcours exceptionnel de celle qui se faisait appeler Rainer dans la clandestinité des années d’occupation et qui a longtemps été journaliste à L’Humanité et à La Vie ouvrière.
Si la vie de Madeleine Riffaud a été extraordinaire, elle a cependant été marquée par de nombreuses épreuves relatée dans cette bande dessinée. « De temps en temps, j’ai eu peur, explique-t-elle, sinon je n’aurais pas été normale. Mais j’étais dopée par le risque : j’avais à faire, et je faisais. J’ai perdu tout sentiment de peur après avoir échappé trois fois à la mort. Nous n’étions pas des victimes, nous étions des combattants. Nous n’étions pas des martyrs, nous étions des résistants. Ce qu’on ne supportait pas, c’était d’entendre le Maréchal Pétain, avec sa voix chevrotante, nous dire “ Vous êtes un peuple de vaincus, soyez corrects avec les Allemands.” C’était insupportable, alors je suis entrée en résistance. »
Pendant plusieurs mois, Madeleine Riffaud cherche à rejoindre la Résistance, sans vraiment savoir comment s’y prendre. Elle y parviendra dans un sanatorium des Alpes, où elle soigne sa tuberculose : « J’ai trouvé la Résistance là où je ne pensais pas la trouver. Les gens ne le savaient pas, mais cet endroit était un centre de la Résistance. C’est grâce à mon amoureux que je l’ai découvert. Il avait huit ans de plus que moi et avait déjà été en prison. Il s’était évadé et se trouvait là pour se refaire une santé, au grand air de la montagne. »
C’est en 1942 que le jeune couple quitte le sanatorium pour rejoindre Paris, sans que les parents de la jeune femme ne soient au courant. À la capitale, elle fait ses premiers pas dans la Résistance sous le nom de code Rainer, en hommage au poète autrichien Rainer Maria Rilke. La suite sera une succession d’actes héroïques et d’horreurs subies : la torture, la détention à Fresnes, les simulacres d’exécution. Elle aurait dû être déportée mais réussit à s’échapper.
Un demi-siècle de silence
Pour écrire le scénario de la bande dessinée, l’auteur, Jean-David Morvan, a enregistré des centaines d’heures de conversation. Madeleine Riffaud a tout raconté, ne passant aucun détail sous silence, même les plus terriblesL’auteur a « compris qu’on pouvait tout raconter, mais qu’il fallait trouver comment le raconter pour que ça ne choque pas les gens et qu’ils ne referment pas le livre. Qu’ils ressentent l’émotion et la puissance des choses mais sans côté larmoyant. D’ailleurs, jamais Madeleine ne l’aurait accepté. »
Pendant un demi-siècle, Madeleine Riffaud n’a rien dit. C’est Raymond Aubrac qui réussit à la convaincre en 1994 : « Ceux qui ont été capturés ou ont connu les salles de torture n’avaient pas très envie de parler. D’ailleurs, on n’avait pas vraiment envie de les écouter non plus, tout le monde voulait passer à autre chose. Moi, je ne voulais pas repenser à tout ça. Mais un jour, Raymond est venu chez moi et il m’a dit : “Maintenant, ça suffit. Après cinquante ans de silence, est-ce que tu vas enfin l’ouvrir ?” » Au début la résistante refuse, mais un argument finit par faire mouche : « Il m’a dit de penser à mes camarades de 17 ou 18 qui avaient été fusillés et que tout le monde avait oubliés. Il m’a demandé si ça m’était égal, et j’ai donc fini par accepter de témoigner. »
Plus de vingt-cinq ans après, c’est au dessinateur Dominique Bertail qu’est revenue la lourde de tâche de mettre en images la vie de Madeleine Riffaud : « J’avais assez précisément en tête ce que j’avais envie de faire, mais par contre, j’ai soumis les story-boards à Madeleine, pour voir si ça correspondait à ce qui s’était passé. Je serais mal placé pour dire ce qu’elle en a pensé, mais je crois qu’elle a bien aimé. »
Le deuxième tome de Madeleine résistante sortira au mois d’août prochain. Les deux auteurs aimeraient raconter la suite de la vie de Madeleine Riffaud: les guerres d’Indochine, d’Algérie et du Viet Nam qu’elle a couvertes comme journaliste, ou encore son expérience à l’hôpital dans les années cinquante, qu’elle relate dans Les Linges de la nuit.
Aujourd’hui, Madeleine Riffaud continue de se battre, comme en témoigne la lettre ouverte à l’AP-HP qu’elle a publiée en septembre dernier (voir ci-après) pour dénoncer les conditions d’accueil dans les hôpitaux parisiens et qui fait étrangement écho aux Linges de la nuit. Bref, trois tomes ne peuvent suffire pour raconter la vie de Madeleine Riffaud, mais nous y reviendrons dans un prochain numéro.