Deux mois avant la mobilisation quasi historique contre la « réforme » des retraites paraissait un livre de Jean-Marie Pernot*, chercheur à l’Ires, sur le syndicalisme de demain, que tout·e militant·e se devrait de lire. Aperçu.

Certes, ce n’est pas le livre qu’a priori on emporterait pour lire à la plage. Pourtant, il est aussi facile à lire qu’un « bouquin pour les vacances » et sans doute plus passionnant. Parce qu’il parle de nous, des problèmes que nous rencontrons, des choses que nous vivons, des débats que nous menons. Et il nous amène à faire ou refaire le point, aujourd’hui, à la lumière d’un passé plus ou moins récent du syndicalisme en France, brossé par un auteur qui connaît son affaire.

Jean-Marie Pernot, docteur en sciences politiques, est chercheur à l’Institut de recherches économiques et sociales (Ires). Il a écrit de nombreux articles et ouvrages sur le syndicalisme et celui-ci est son dernier en date. Mais il a aussi été responsable syndical, plus précisément secrétaire général de la Fédération CFDT des finances et des affaires économiques, à la fin des années quatre-vingt. À qui s’écrierait : « Ah ! Un cédétiste, vade retro satanas ! », on précisera qu’il est aussi membre du conseil scientifique de l’Institut d’histoire sociale de la CGT.

De la réalité du rapport de force

Ce dernier ouvrage a été publié en octobre 2022, soit après le confinement covidien et avant une mobilisation contre la « réforme » des retraites qui va faire date. Avant le 53e Congrès de la CGT aussi, et les réflexions qu’il contient recouvrent – comment pourrait-il en être autrement – celles qui ont traversé le congrès confédéral. Mais, loin des invectives en séance plénière ou dans ses couloirs, dans le calme de la lecture et avec l’apport de la culture syndicale de Jean-Marie Pernot, on ne refait pas le film, on recommence à réfléchir.

Il y a certes un parti pris. Heureusement, serait-on tenté de dire, car l’hésitation serait signe d’une réflexion non aboutie. Mais pas d’incantation (idée qu’il a en horreur), pas d’injonctions. C’est pourquoi le sous-titre du livre, Ce qui ne peut plus durer, paraît quelque peu grandiloquent et donne à l’auteur un aspect autoritaire qu’il n’a pas, car c’est plutôt d’une invite dont il s’agit.

Une invite à reconsidérer la réalité du rapport de force. « Le rapport de force, ce n’est pas l’existence des luttes, c’est le processus cumulatif qui permet, au fil de ces luttes, de constituer un rapport de puissance emmagasiné dans une forme pérenne de représentation. » Et de rappeler une phrase de Bernard Thibault prononcée lors de l’ouverture du congrès confédéral de 2006 : « Pour être fort chez soi, il faut être fort partout. »

De la réalité du salariat

Une invite à regarder l’unité intersyndicale sous le prisme de la réalité syndicale française. « Ce qui est sûr, c’est que tout discours sur l’unité qui fait l’impasse sur les relations CFDT-CGT tourne le dos aux conditions de rétablissement d’un véritable rapport de force social. » La mobilisation qui a suivi de quelques mois la parution du livre ne peut pas lui donner tort, et si le rapport de force n’a pas été suffisant cette fois-ci, il a néanmoins gravi plusieurs échelons.

Une invite à prendre en considération les spécificités du salariat d’aujourd’hui et d’adapter en conséquence les structures organisationnelles. « Le décalage entre un mode de structuration et le salariat réellement existent est sans aucun doute une des raisons majeures du recul d’influence de la CGT. Sans changement significatif de ce côté-là, la suite de l’histoire est inscrite dans les tendances des dernières années. »

Une invite à revoir les journées dites « d’action ». « Les objectifs sont souvent dilués dans l’ensemble des problèmes du moment ; ces journées deviennent un rituel substitutif d’une véritable mobilisation interprofessionnelle. Les militants sont heureux de se retrouver “sur une manif”, mais cela ne saurait servir de justification à des cortèges clairsemés, à un tel étalement de faiblesse. »

De la nécessité d’un projet

Ne surtout pas croire que Jean-Marie Pernot jette le bébé avec l’eau du bain. En bon historien et analyste du changement d’époque, il suggère d’autres pratiques et une nouvelle façon d’appréhender les choses, y compris du point de vue du vocabulaire. Aujourd’hui, le salariat, même toujours aussi nombreux, est très éclaté et le « mouvement ouvrier », censé ouvrir la voie vers le socialisme, ne recouvre plus une réalité bien distincte. C’est pourquoi il suggère un changement de vocabulaire, comme l’ont fait avant lui Dardot et Laval : la lutte des classes n’a pas disparu, les syndicalistes ont toujours besoin d’une boussole, que Jean-Marie Pernot appelle « projet », et qui a pour nom l’émancipation. On l’aura compris, le social ne peut pas faire l’impasse sur le sociétal.

Qu’on soit ou non en accord, partiel ou total, avec son auteur, il faut lire ce livre, alerte et plaisant, et qui ferait sans doute gagner beaucoup de temps à de jeunes syndiqué·es.

* Le Syndicalisme d’après. Ce qui ne peut plus durer, Jean-Marie Pernot, Éditions du détour, 2022, 224 pages, 19,90 €.