Alors que les températures augmentent à Paris comme dans le reste du monde, le travail s’adapte peu. Pour imposer le rapport de force qui permettra de prendre les mesures nécessaires pour protéger les travailleurs et les travailleuses, l’UD CGT Paris met à disposition des syndicats les outils pour faire face à ce phénomène.
Des températures qui augmentent
En Europe comme à l’échelle planétaire, les températures moyennes augmentent. Les 8 dernières années ont été les plus chaudes jamais enregistrées. L’été 2022 a été le plus chaud en Europe. Ce sont donc des millions de travailleurs qui sont exposés au travail par forte chaleur.
Paris, en particulier, est une ville mal adaptée aux fortes chaleurs. Ainsi, Santé Publique France comptabilise une surmortalité relative de + 21 % en Île-de-France, lors des épisodes caniculaires de 2019 et de 2022.
Le rapport « Paris à 50 °C », de la Mission d’information et d’évaluation du Conseil de Paris, explique ainsi : « La vulnérabilité particulièrement accentuée de Paris s’explique en partie par sa forme urbaine qui génère un effet d’îlot de chaleur urbain (ICU) à l’échelle du Grand Paris. Du fait de son héritage historique, Paris est une ville particulièrement minérale et dense. La forme et les matériaux de la ville, combinés aux activités humaines productrices de chaleur, génèrent une augmentation supplémentaire de la température pouvant aller jusqu’à 8 ou 10 °C par rapport à ses alentours, notamment la nuit. »
Des conséquences sur la santé au travail
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime que les températures idéales pour travailler sont entre 16 °C et 24 °C en fonction des activités. Au-dessus de 28 °C pour une activité physique et au-dessus de 30 °C pour une activité sédentaire, « la chaleur peut constituer un risque pour les salariés » d’après l’INRS. Au cours de l’été 2022, sept personnes sont mortes en France en lien probable avec les températures.
Les premier·es à subir les fortes chaleurs sont les ouvrier·es travaillant en extérieur. Mais celles et ceux qui travaillent en intérieur sont aussi concerné·es, que ce soit sur le lieu de travail ou pendant les trajets.
Effets de la chaleur sur la santé
Les effets de la chaleur sur le corps sont de plus en plus documentés. Ils résultent de la température extérieure et de l’effort physique exigé. La première réaction du corps est la transpiration, qui permet, via l’évaporation d’eau, de réguler la température corporelle autour de 37 °C. C’est la température à laquelle nos organes, notre cerveau, tout notre corps fonctionnent normalement.
Mais, à la transpiration peut succéder la déshydratation du corps ainsi que la perte de sels minéraux en quantité. Les conséquences, ce sont des crampes, des vertiges, des nausées, de la fatigue, des étourdissements. Dans les cas extrêmes, évanouissements et coups de chaleurs peuvent survenir.
Ces événements peuvent avoir des conséquences dramatiques. Les risques d’accidents sont accrus, car ils provoquent une baisse de la vigilance et une augmentation des temps de réaction. Les accidents peuvent alors survenir plus fréquemment.
À terme, des médecins font un lien entre les coups de chaleur et les épisodes de déshydratation à répétition et des insuffisances rénales chroniques (voir encadré).
Les effets des fortes chaleurs sur la santé des travailleuses et des travailleurs sont donc non seulement bien réels, mais aussi dévastateurs.
C’est le rôle de la CGT, en particulier via les élu·es représentant le personnel, de forcer les employeurs à prendre des mesures efficaces contre les effets des fortes chaleurs au travail.
Épidémie de maladies rénales
Un documentaire d’Arte, sorti en juin 2023, et nommé « Trop chaud pour travailler », interviewe des médecins et des travailleurs au Nicaragua, au Qatar et aux Etats-Unis. On y découvre une véritable épidémie d’insuffisances rénales chroniques chez de jeunes hommes qui travaillent sur des chantiers ou dans des plantations, ou des livreurs de colis. Cette maladie entraîne une obligation de dialyse à vie, et des décès très prématurés.
De premières mesures de protection
À part la mise à disposition d’eau potable et fraîche, le Code du travail ne prévoit pas de dispositif contraignant pour les employeurs à propos du travail par fortes chaleurs. Pourtant, de nombreuses mesures peuvent et doivent être prises pour assurer la santé et la sécurité des travailleurs et des travailleuses, ce qui est une obligation des employeurs.
Plusieurs facteurs influent sur la capacité ou non de notre corps à faire face aux chaleurs :
- la température : c’est le premier facteur,
- l’effort demandé et les exigences de productivité : plus le travail est physique ou intense et plus le corps va produire sa propre chaleur
- l’humidité de l’air : plus l’air est humide, moins la transpiration est efficace pour refroidir le corps. Ceci se ressent sur des lieux de travail tels que des buanderies, des blanchisseries, des cuisines…
- la chaleur rayonnante (comme celle du soleil, d’un four, d’une fournaise), aggrave l’effet des températures,
- la vitesse de l’air : une brise diminue l’effet des températures.
De cette observation, découlent des mesures évidentes à mettre en place sur les lieux de travail :
- des pauses régulières, pour baisser la température du corps qui se réchauffe en travaillant. Ces pauses ne doivent pas être imposées à des moments précis. Elles doivent être prises quand le travailleur ou la travailleuse en ressent le besoin, car c’est à ce moment que le corps en a besoin ;
- le travail et les pauses à l’ombre ;
- la ventilation…
Ceci entraîne la nécessité de ré-organiser les espaces et les journées, en augmentant la fréquence des pauses, en réduisant les cadences, en favorisant la rotation des tâches et en limitant le travail physique et en extérieur.
De nombreux employeurs voient cependant ces mesures comme un coût supplémentaire qu’ils ne veulent pas supporter, au détriment de la santé des travailleur⋅es. C’est pourquoi la CGT doit imposer, avec les salarié⋅es, un rapport de force en interne dans chaque entreprise, chaque administration, et dans la société. Les outils à la disposition des salarié⋅es, de leur syndicat et de leurs élu·es sont la pétition, la grève, le droit d’alerte et le droit de retrait.
Une attention particulière sur les intérimaires
L’INRS préconise de « prendre en compte la période d’acclimatation nécessaire (au minimum sept jours d’exposition régulière à la chaleur), en particulier pour les intérimaires, les nouveaux embauchés, les salariés de retour après une absence. » Ainsi, nous devons porter une attention particulière à ces collègues, et s’assurer que les employeurs mettent en place des mesures supplémentaires à leur égard à leur arrivée dans le collectif de travail.
Le danger du travail à la tâche
Les travailleurs qui sont payés « à la tâche », c’est-à-dire en fonction du travail rendu plutôt que du nombre d’heures travaillées, sont particulièrement à risque. C’est le cas des auto-entrepreneurs par exemple. En effet, si l’on est payé à la tâche, on peut avoir tendance à réaliser le plus de travail possible, peu importe la situation climatique. Et donc à mettre sa santé en danger pour obtenir un salaire décent. Une raison de plus pour s’opposer à ces statuts précaires, et pour exiger que le CDI soit la norme.
Exiger l’arrêt du travail au-dessus de 28 °C
On peut pallier par des aménagements du travail les effets des fortes chaleurs. Mais il faut se rendre à l’évidence : il arrive que le travail sous certaines températures ne soit plus possible. Il convient alors d’arrêter de travailler. La Confédération européenne des syndicats (CES) a demandé l’instauration d’une loi qui fixerait une température maximale au travail partout en Europe.
Nous pensons que le Code du travail doit se doter d’un article exigeant l’arrêt du travail immédiat au-dessus de 28 °C pour les travaux physiques, et au-dessus de 30 °C pour les travaux sédentaires.
En cas de carence ou de refus de l’employeur, cet arrêt du travail pourrait être prononcé à tout moment par un inspecteur ou par une inspectrice du travail, comme c’est déjà le cas en cas de risque de chute de hauteur dans le secteur du BTP par exemple.
Bien sûr, ceci nécessiterait des effectifs suffisant à l’Inspection du travail, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, à Paris comme dans toute la France.
Attention aux modifications d’horaires !
Les employeurs peuvent être tentés de décaler les horaires de travail, pour travailler aux heures plus fraîches de la nuit ou du petit matin. Attention cependant, en cas de fortes chaleurs, les heures les plus favorables pour reposer le corps sont entre 1 h et 6 h du matin. Il ne faut donc pas accepter d’horaires qui forcent à se réveiller par exemple à 3 h ou 4 h afin d’être à l’heure au travail.
Changer le rapport au travail
Les températures augmentent, mais ce n’est pas une fatalité si l’on sort des énergies fossiles. C’est aussi l’occasion de changer notre rapport au travail. Alors que certains travaillent sous des températures caniculaires pour de faibles salaires, d’autres sont contraints au chômage, et d’autres encore se reposent en profitant des dividendes des entreprises.
Une première mesure, évidente, est la baisse du temps de travail sans baisse de salaire pour toutes et tous. Ceci permettrait de répartir le travail, pour éradiquer le chômage. Cette mesure est également une mesure de santé publique, car, on l’a vu, le travail est une source d’accidents et de maladies.
C’est pourquoi la CGT revendique la semaine de 32 h. Travaillons moins, pour travailler toutes et tous, et pour travailler en sécurité.
Cette mesure peut être financée par les entreprises qui font du profit. Rappelons qu’en 2022, dans les groupes du CAC 40, les versements de dividendes ont atteint 67,5 milliards d’euros.
La CGT porte également une proposition de Nouveau statut du travail salarié, qui permettrait de dépasser la contradiction entre emploi et environnement. Il s’agit de garantir à chaque salarié⋅e une continuité de salaire tout au long de la vie, y compris dans les périodes entre deux emplois. Cette revendication, qui serait financée par une Sécurité sociale professionnelle, aurait le mérite de s’attaquer immédiatement à toutes les formes de travail qui
aggravent les effets des fortes chaleurs (sous-traitance, intérim, auto- entrepreneuriat…). Elle s’attaque également à la cause du problème, en dessinant un chemin de plus grande socialisation du salaire, sur le modèle de la Sécurité sociale, qui permettrait de libérer le travail des logiques capitalistes qui sont à la source de ce réchauffement généralisé.
Sources
Documentaire ARTE « Trop chaud pour travailler » de Mikaël Lefrançois, écrit par MikaëlLefrançois et Camille Robert, 2023 R
apport « Paris à 50 °C » de la Mission d’information et d’évaluation du Conseil de Paris Brochure de l’INRS « Travail par forte chaleur en été. Comment agir ? »
Article du blog Mediapart d’Anthony Smith, Inspecteur du travail CGT « Température maximale au travail : l’urgence d’une loi »