C’est l’entreprise préférée des Français·es. Prix défiant toute concurrence, implantation sur tout le territoire, des grandes villes aux secteurs ruraux, la firme lilloise a su imposer une image sympathique et bienveillante, pourtant très éloignée de la réalité. La mort d’un intérimaire de 25 ans, le 11 octobre, alors qu’il manœuvrait un chariot électrique dans le magasin de Paris La Madeleine, en est la plus triste démonstration. La mobilisation de la CGT Décathlon IDF et des salarié·es du magasin suite à ce décès a mis sur la place publique les contre-vérités de l’entreprise en matière de conditions de travail.
Décathlon, une entreprise qui a fait 923 millions d’euros de bénéfices en 2022, n’a aucun scrupule à ne rémunérer ses salarié·es en magasin que quatre centimes au-dessus du Smic. Une entreprise où de grossières primes sur la performance mensuelle ou trimestrielle sont le seul espoir de voir grossir un peu la paie à la fin du mois. Les avantages à destination des salarié·es sont inexistants ou inaccessibles, l’ancienneté n’est pas valorisée et une seule fiche de poste en dissimule une infinité.
C’est aussi et surtout une entreprise où la représentation des salarié·es est volontairement rendue inefficace par un management feel good, prétendant gommer les rapports de domination, pourtant bien réels, entre travailleur·ses et direction. Au niveau national, seuls l’Unsa, la CFTC et la CFDT sont représentatifs.
Le mouvement sur les retraites est passé par là
Comme on peut s’y attendre, l’agglomération parisienne rassemble le plus important regroupement de salarié·es. Rien que pour la partie retail, l’établissement compte près de mille huit cents personnes réparties sur une quarantaine de magasins. Pour autant, le CSE régional n’est composé que de vingt et un sièges de titulaires. Il est donc possible pour un·e salarié·e de ne jamais rencontrer un·e élu·e. Une situation qui, jusqu’à présent, rendait quasiment impossible l’expression d’un quelconque rapport de force dans l’entreprise. Au mieux avait-on eu, pour la première fois, un mouvement de grève à l’appel de la CFDT pour exiger l’augmentation des salaires durant les NAO de 2021. La victoire ne fut que partielle : 3 % d’augmentation des salaires en échange d’une baisse de 30 % du taux maximal des primes trimestrielles — une perte qui, avec le recul, s’avérera colossale en regard de la conjoncture inflationniste de 2023.
Dans un tel contexte, la mobilisation contre la réforme des retraites est venue bouleverser les rapports des salarié·es avec leurtravail. Salaires, temps de travail, pénibilité, toutes ces questions se sont posées avec force pendant six mois et ont trouvé écho dans des magasins où elles se posaient timidement depuis le Covid-19. Le feu a particulièrement pris dans un magasin, celui de Paris La Madeleine, qui génère le plus d’argent pour l’enseigne. Il compte 130 salarié·es et dégage annuellement cinquante millions d’euros de bénéfice, dans des conditions déplorables et dangereuses. C’est un magasin en sous-sol, au flux de clientèle incessant, et les livraisons de marchandises se font à 7 heures sur le trottoir du boulevard.
Avec la CGT, pour une vraie représentation des salarié·es
La colère des salarié·es couvait depuis un moment, et l’inaction des syndicats représentatifs, en plein mouvement social, a exacerbé la volonté d’agir. À l’approche du 7 mars, un comité de grève s’est constitué, réunissant quasi exclusivement des salarié·es non syndiqué·es. Au matin du 7, une quinzaine de « gilets bleus » l’uniforme de Décathlon, se sont réunis sur le piquet de grève. Les revendications dépassent largement la seule réforme des retraites et, rapidement, un tiers du magasin rejoint les rangs. La surdité de la direction et des organisations syndicales finit par irriter le collectif qui, depuis plusieurs mois, perd du salaire et se rend en manifestation.
C’est à ce moment-là qu’une partie du comité de grève adhère à l’US Commerces et Services CGT de Paris et pousse l’idée d’une grève surprise pour l’après-midi du 3 juin. Une mobilisation réussie, durant laquelle sept pages de revendications sont remises à la direction du magasin. Certaines seront satisfaites immédiatement, le principal casus belli concernant la réception des marchandises, jugée bien trop pénible. Elle donnera lieu à une enquête de la CSSCT, qui malheureusement n’aura servi à rien puisqu’un intérimaire décédera le 11 octobre, au cours d’une de ces réceptions, terrible résultat d’un mépris des risques durant depuis dix ans.
L’historique de ces derniers mois a démontré la nécessité d’un syndicat combatif. À l’approche des élections professionnelles, la CGT Décathlon IDF s’attèle à se faire connaître auprès de tous les magasins et entrepôts afin de construire des actions communes et des listes aux CSE.
Yanis Mégal, CGT Décathlon IDF