Un petit livre1, rapide et facile de lecture, tente de soulever le débat sur l’avenir du syndicalisme devant les nouveaux enjeux sociaux et sociétaux. Ça en vaut la peine.

Huit chercheurs – sociologues, politistes et une historienne – se proposent, après l’épisode marquant de la mobilisation contre la « réforme » des retraites, d’en tirer le bilan sur le plan des organisations syndicales et, plus généralement, sur le syndicalisme aujourd’hui. En essayant de creuser un peu plus la conclusion que tout le monde en avait tirée : ce fut une défaite sur le plan revendicatif mais le syndicalisme a repris de la vitalité, du crédit, et redevient un peu plus attractif.

Il ne s’agit pas, pour elles et eux, de débattre de la stratégie des organisations syndicales (soulignant quand même au passage tout le bien qu’ils et elles pensent de l’unité intersyndicale) mais plutôt de scruter l’attitude de ces organisations à l’égard du reste du monde institutionnel. D’où le titre, consistant à énoncer une banalité (car oui, bien sûr, le syndicalisme est politique, de même que, depuis Aristote, tout est politique), qui prend sens avec le sous-titre : questions stratégiques pour un renouveau syndical. Des questions comme autant de déclinaisons d’une seule et même grande question : le rapport des syndicats à la politique.

Actualité de la Charte d’Amiens

Des réponses à ces questions ? Que non ! « Les contributions rassemblées dans cet ouvrage n’apportent pas de réponse à toutes ces interrogations, et encore moins des réponses définitives. Elles visent avant tout à ouvrir un espace de discussion autour de ces enjeux, en espérant que ce livre puisse servir de support pour multiplier les débats autour des stratégies nécessaires au renouveau syndical », nous avertit Karel Yon dans son introduction. Mais des suggestions, quand même, tournant donc autour des la « politisation » des syndicats.

Attention, pas de méprise, il ne s’agit pas d’un retour au rôle de « courroie de transmission » d’un parti. Et la mise en garde est claire : « L’autonomisation des syndicats vis-à-vis des partis politiques est un acquis essentiel à préserver. » Non, il s’agit de faire de la politique à côté des partis : « La politique est une chose trop importante pour la laisser entre les mains des seuls partis. » Et de rappeler les principes d’indépendance de la Charte d’Amiens (IXe Congrès de la CGT en 1906), mais en citant également ce passage de la charte : « Dans l’œuvre revendicatrice quotidienne, le syndicalisme poursuit la coordination des efforts ouvriers, l’accroissement du mieux-être des travailleurs par la réalisation d’améliorations immédiates, telles que la diminution des heures de travail, l’augmentation des salaires, etc. Mais cette besogne n’est qu’un côté de l’œuvre du syndicalisme : il prépare l’émancipation intégrale, qui ne peut se réaliser que par l’expropriation capitaliste ; il préconise comme moyen d’action la grève générale et il considère que le syndicat, aujourd’hui groupement de résistance, sera dans l’avenir le groupement de production et de répartition, base de réorganisation sociale. » Où l’on retrouve ce qu’on a appelé communément la « double besogne ».

Une “double besogne” oubliée ?

Rien de neuf, donc, mais un rappel salutaire de ces chercheur·ses qui considèrent que la double besogne tend à perdre en route sa deuxième jambe. « Certes, concèdent nos sociologues, les analyses syndicales ne manquent pas sur la précarisation ou la digitalisation du travail, sur les discriminations dans l’emploi, sur la libéralisation des échanges et la financiarisation de l’économie, sur la démission de l’État en matière de politiques industrielles ou fiscales, sur les dégâts indissolublement sociaux et environnementaux de la crise climatique », mais c’est pour conclure que « ce qui fait défaut, c’est donc moins les idées que leur circulation et leur articulation au sein d’une stratégie. »

Selon elles et eux, « les évolutions des dernières décennies (désyndicalisation, éclatement des collectifs de travail, tournant néolibéral) se sont traduites par une dépolitisation de l’action syndicale, au sens d’un recentrage sur la sphère des relations professionnelles et d’une prise de distance vis-à-vis des stratégies de transformation sociale, qui impliquent des alliances excédant le champ syndical ». Et là, on ne peut pas ne pas penser à la participation de la CGT au collectif « Plus jamais ça » et ce qu’il en est advenu au Congrès de Clermont-Ferrand.

Le débat est ouvert. Et un sujet s’impose d’emblée : le dérèglement climatique oblige à une transition écologique qui implique une modification de la production et de ses moyens. L’aborder sous le seul angle de la défense des emplois existants pourrait mener à une grave déconvenue, tant pour les travailleurs que pour le syndicalisme.

1. Le syndicalisme est politique. Questions stratégiques pour un renouveau syndical, sous la direction de Karel Yon, La Dispute, 170 pages, 16 €.