Le musée Carnavalet consacre une exposition à Agnès Varda. Entre ses photos et des extraits de ses films, une promenade drôle ou émouvante et toujours profondément humaine parmi les Parisiens et les Parisiennes. Quand l’art et la vie quotidienne ne font qu’un.
« Je n’habite pas Paris, j’habite Paris 14e », avait dit un jour Agnès Varda. Ce n’était pas une simple formule. On pourrait même réduire son univers à la rue Daguerre (quand on est photographe, habiter une rue qui porte le nom d’un des inventeurs de la photographie, forcément, on s’enracine – elle y restera jusqu’à sa mort, soit pendant près de soixante-dix ans). Mais son univers géographique uniquement car son univers artistique, lui, repousse les frontières et les limites.
Tous en scène
C’est en 1951, deux ans après avoir obtenu son CAP de photographe, qu’elle achète deux vieilles boutiques au fond d’une cour en forme d’impasse, au 86 de cette rue Daguerre. Elle a alors 23 ans et se présente comme artisan photographe. La cour, où vivent aussi un couple de républicains espagnols réfugiés et un couple de prolétaires italiens, devient un lieu de vie : Agnès Varda y organise des expos après avoir pris ses voisins pour modèles (comme elle faisait déjà auparavant avec ses colocs – et artistes – lorsqu’elle habitait cité Malesherbes), elle en fait son atelier comme les enfants leur terrain de jeux. Et bientôt, son intérêt pour les gens va s’étendre à toute la rue.
Son documentaire Daguerréotypes, c’est la présentation des commerçants et habitants de la rue qui, filmés chez eux, révèlent en quelques mots et avec une timidité mal cachée leurs origines et leur petite histoire. Mais l’artiste documentariste ne se départ pas de l’artisane bricoleuse qu’elle a toujours été. Pour ne pas faire payer aux gens l’électricité nécessaire au tournage, elle tirera un gros câble électrique depuis chez elle tout au long de la rue. De la même façon qu’elle a sillonné les rues de Paris avec son trépied et sa chambre photographique.
L’œil de Varda
Et artisane elle est en produisant, par exemple, des centaines de clichés pour les galeries Lafayette. Il y aura ce côté alimentaire, surtout des portraits – notamment depuis qu’en 1948, Jean Vilar, qui est le mari d’une de ses copines d’adolescence, l’embauche comme photographe au Festival d’Avignon puis au TNP. Et parallèlement, une œuvre artistique en construction. L’œil de Varda. « Je ne choisis pas une seule version des choses », dira-t-elle. On croirait entendre Picasso.
Parmi les voisins, il y a aussi des artistes, Calder et Brassaï, entre autres, qui poseront bien sûr pour Agnès. Et puis il y aura tous ceux qui viendront d’un peu plus loin la voir dans ses pénates, comme pour précéder ou faire mûrir cette réflexion qu’elle aura vers la fin de sa vie : « Je crois que les gens, c’est tout de même ce qu’il y a de plus intéressant. »
Ainsi naquit la Nouvelle Vague
Chez Varda, il y a au commencement une influence surréaliste, qui se manifeste par le côté drolatique ou étrange de ses photographies. Photographier Fellini de passage à paris, alors ce sera devant un tas de pierres à la porte de Vanves. À propos de cinéma, elle y est passée. Et pas inaperçue. Parmi les nombreux courts et longs métrages, documentaires et fictions qu’elle réalisera, citons La Pointe courte, en 1954. Un critique du Monde dira que ce film est « le premier son de cloche d’un immense carillon ». Il ne se trompait pas : le film inaugurait tout simplement la Nouvelle Vague. Suivront, parmi les plus célèbres, Cléo de 5 à 7 (1962), L’une chante, l’autre pas (1977), sur l’IVG, Sans toit ni loi (1985), Lion d’or à la Mostra de Venise, ou encore Les Glaneurs et la Glaneuse (2000). L’expo proposée par le musée Carnavalet est riche d’extraits de ces films (tous ayant pour cadre Paris), qui arrivent comme des pauses dans votre déambulation devant les cent trente clichés présentés.
Photographe, cinéaste, mais aussi, ce sera le troisième profil d’Agnès Varda (mais il se cache déjà dans les deux premiers), « artiste visuelle », comme elle se définit elle-même. C’est ainsi qu’elle réalisera, pour la Biennale de Venise ou la Fondation Cartier, des « installations » que n’auraient pas reniées les surréalistes.
« Le Paris d’Agnès Varda, de-ci, de-là », musée Carnavalet, 23, rue Madame-de-Sévigné, Paris 3e, du mardi au dimanche de 10 heures à 18 heures, jusqu’au 24 août 2025.