Celles et ceux qui travaillent à Paris témoignent de leur quotidien –

Qu’est-ce qui se cache derrière les fameux messages « malaise voyageur », « incident technique » ou « bagage oublié » que l’on entend régulièrement dans le métro parisien ? Arnaud Mocquelet, conducteur à la RATP depuis vingt-quatre ans et syndicaliste CGT, nous dévoile les coulisses de ces événements. Certains sont inévitables, d’autres pourraient être anticipés. Entre anecdotes, constats et critiques, il lève le voile sur une réalité souvent méconnue.

Vous ne le connaissez peut-être pas, mais vous l’avez sûrement croisé un jour ou l’autre. Arnaud conduit actuellement sur la ligne 6, entre Nation et Charles-de-Gaulle-Étoile. Au fil de ses journées, il fait face à des incidents variés, des plus communs aux plus rares. Deux fois, par exemple, une panne grave l’a contraint à évacuer des passagers dans un tunnel. « Tout cela est bien encadré, explique-t-il. On suit des cheminements sécurisés le long des voies, et nous sommes formés à ces situations. Dans ce métier, il faut être prêt à tout. »

Plus fréquents que ces pannes majeures, les « bagages oubliés » perturbent régulièrement le trafic. En principe, ces situations nécessitent l’intervention des forces de l’ordre, mais certains voyageurs, lassés d’attendre, prennent les choses en main en expulsant eux-mêmes l’objet suspect hors de la rame. « C’est un effet inattendu des nouvelles annonces de la RATP, explique Arnaud. Au lieu de “paquets suspects”, on parle désormais d’“objets délaissés” pour dédramatiser. Mais ça pousse certains à jouer aux apprentis démineurs, ce qui est dangereux. »

Les fameux « malaises voyageurs » sont aussi une cause fréquente de retard. Contrairement à certaines idées reçues, les passagers font souvent preuve de solidarité face à ces imprévus. Depuis 2024, la RATP recommande d’évacuer les personnes souffrantes sur le quai pour attendre les secours sans immobiliser les rames. Cependant, cette consigne suscite parfois l’indignation des autres passagers, qui perçoivent cela comme une forme de négligence. « Les usagers parisiens sont globalement calmes et compréhensifs, observe Arnaud. Ils savent que certains incidents sont inévitables. »

Des choix budgétaires contestables

Cependant, certains problèmes pourraient être évités. Arnaud pointe du doigt les choix budgétaires de la direction. Ainsi, il y a quelques années, l’intervalle entre les changements préventifs des ampoules des signaux a été allongé, entraînant une série de pannes. « Ces économies de bouts de chandelle coûtent finalement bien plus cher. »

Un autre problème concerne la gestion des conducteurs de réserve, censés remplacer leurs collègues absents. « Le taux de réserve n’a pas évolué depuis les années quatre-vingt, déplore Arnaud. Pourtant, les congés parentaux, les congés de proches aidants ou les formations se sont multipliés. » Résultat : un effectif insuffisant pour pallier les absences, des rames supprimées, un trafic dégradé et… des métros bondés.

Entre Covid et jeux Olympiques : deux extrêmes

La pandémie de Covid-19 a également laissé des traces. Pendant cette période, la RATP a réduit son offre de transport, mais elle n’a pas anticipé le retour des passagers une fois la crise passée. « La reprise a été difficile, confie Arnaud. Il a fallu recruter et former des conducteurs en urgence, ce qui a pris des années. Pendant ce temps, tout le monde a souffert, passagers comme agents.

En revanche, l’été 2024 a offert une démonstration éclatante des capacités du métro parisien. En prévision des jeux Olympiques et Paralympiques, la RATP a déployé des moyens considérables : maintenance renforcée, embauches, rames impeccablement révisées. « Tout était presque parfait, se souvient Arnaud. Mais une fois les Jeux terminés, tout est revenu à la normale, avec ses retards et ses aléas. Ça montre qu’en y mettant les moyens, on peut offrir un service optimal. »

Des conditions de travail en déclin

Pourtant, derrière cette façade, les conditions de travail des agents se dégradent. « Nos salaires n’ont pas suivi l’inflation, et les contraintes restent les mêmes : travail en sous-sol poussiéreux, horaires décalés, services le week-end et la nuit. »

Un autre problème, moins visible : la nécessité de posséder une voiture. « Quand on prend les premiers services du matin ou les derniers de la nuit, il n’y a plus de transports en commun. La voiture devient indispensable, ce qui engendre des frais supplémentaires pour les conducteurs. »

Cette accumulation de difficultés contribue à un désenchantement chez les agents. « Beaucoup ne conseilleraient plus ce métier à leurs enfants, regrette Arnaud. Avant, la RATP était une entreprise où l’on faisait carrière. Aujourd’hui, le turn-over est élevé, et cela semble arranger la direction. Les nouveaux agents restent peu de temps, ce qui limite leur implication et leur capacité à contester les décisions aberrantes. »

Un métro entre espoir et désillusions

Malgré tout, Arnaud reste attaché à son métier et au métro parisien. « Nos conditions de travail sont directement liées aux conditions de transport des usagers, rappelle-t-il. Nous sommes tous dans le même bateau, ou plutôt dans les mêmes rames. »

Ce témoignage soulève une question essentielle : le métro parisien peut-il offrir un service de qualité durablement sans mettre à mal ses agents ? Une chose est sûre : pour qu’il reste un symbole de fiabilité, il faudra davantage qu’une gestion sur la corde raide.

La RATP en chiffres

Le métro, c’est environ 3 000 conductrices et conducteurs, 227,3 km de voies du réseau souterrain, un parc matériel de 740 trains, plus de 1,4 milliard de trajets en 2023. C’est aussi un incessant ballet de rames acheminées aux dépôts de chaque ligne pour y subir des révisions, ou encore en grande nuit, quand le trafic voyageurs a cessé, le rapatriement des rames sur la Villette afin d’être convoyées hors du réseau pour une maintenance plus lourde, plus tous les trains de travaux pour assurer les multiples chantiers qui ont lieu quasiment tous les jours sur le réseaux.

“On travaille dans un air pollué”

Depuis au moins 2015, les militants CGT-RATP alertent la RATP et IDFM sur le besoin urgent de prendre des mesures pour réduire les émissions de particules fines issues, entre autres, du freinage des trains et renouveler l’air des stations et tunnels.

En 2019, le secrétaire de la Commission santé, sécurité et conditions de travail du Comité social économique central rappelait à la Direction ses obligations pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de ses salarié·es (cf. article L. 4121-1 du Code du travail). La même année, un courrier d’alerte était aussi adressé à la présidente d’IDFM et un second à la ministre de la Santé, restés tous deux sans réponse.

Si les particules fines sont un sujet de santé publique, elles sont aussi un sujet de santé au travail pour les agent·es RATP (personnels d’exploitation, de maintenance, de sécurité, etc.) et les salarié·es d’entreprises extérieures travaillant pendant des heures, des jours et des années dans ces « enceintes souterraines ferroviaires » (ESF) pour lesquelles l’État refuse d’inscrire des seuils de pollution en matière de particules en suspension dans le Code du travail.

Malgré nos constantes interpellations, il n’a pas été mis les moyens suffisants pour protéger les usager·es et les personnes travaillant dans ces ESF. Il est donc nécessaire que la Direction et l’État engagent sans attendre des mesures concrètes à court et à moyen termes pour, notamment : renforcer les examens lors des visites médicales (radio pulmonaire par périodicité) pour agir le plus tôt possible sur les infections contractées ; maintenir le régime spécial de retraite et réinstaurer les années bonifiées pour diminuer le temps d’exposition sur la carrière des agents ; diminuer le temps de travail et prévoir des protections, notamment lors des journées « pic de pollution » ; admettre une priorité en matière de qualité de vie et des conditions de travail, et mobiliser tous les moyens pour diminuer l’exposition des agents en attendant le déploiement de moyens techniques efficaces.

Enfin, si leur volonté est de mettre en œuvre des solutions concrètes pour améliorer la qualité de l’air sur notre réseau, la CGT est disponible pour échanger très rapidement avec l’État, la RATP et IDFM.

CGT-RATP