Quand un flux migratoire passe par une scène de théâtre parisienne. Le magnifique spectacle écrit et mis en scène par Alexis Michalik sur l’odyssée de quelques migrants est un modèle d’humanisme et un bijou de théâtre. L’un ne pouvait pas aller sans l’autre, et c’est plus que réussi. Bravissimo.

Commençons par la fin : une standing ovation durant de longues minutes. C’est suffisamment rare pour être souligné, et on imagine que ce fut le cas pour les séances précédentes comme pour les suivantes. Ça fait plaisir de constater que des foules de gens appréhendent le sujet des migrant·es autrement que ne le font le gouvernement, l’extrême droite et une partie considérable de population qui absorbe le discours des précédents et trimbale des préjugés, c’est-à-dire des idées irréfléchies.

Ça doit faire plaisir aussi aux sept comédiens qui jouent à la perfection de multiples partitions dans une machinerie fort bien huilée et déploient une énergie qui transporte du début à la fin, ainsi qu’à Alexis Michalik, l’auteur et metteur en scène aux – déjà – onze « Molière » amis auxquels il préfère voir la salle pleine, en homme de théâtre populaire qu’il est et qu’il revendique.

Nous voici donc à Calais, plus précisément dans la « jungle de Calais » puisqu’il s’agit de migrant·es, là où échouent beaucoup de candidat·es à des ciels plus cléments, avant d’échouer en Angleterre lorsque leur tentative n’échoue pas. Le décor est planté avant que ne commence une histoire, celle d’un migrant parmi d’autres, qui va vivre aventure sur mésaventure. Et tous les ressorts du théâtre sont là. On rit, on pleure, on se réjouit, on s’indigne. Il y a même le truchement d’une fausse identité, moteur du théâtre de Marivaux. Et un rythme soutenu qui fait de la scène une véritable féerie.

Avec ça, un sujet parfaitement maîtrisé et documenté. Tous les aspects propres au phénomène migratoire et à ses corollaires sont là, rien ne manque. Un véritable condensé. « Ce n’est pas un théâtre militant ou documentaire, mais une histoire humaine, qui s’adresse à tous », dit Alexis Michalik. Certes, mais qui en dit plus long, et mieux et avec plus de conviction que bien des écrits militants sur le même sujet. Car derrière les chiffres, les données géographiques, continentales, nationales, démographiques, certes nécessaires pour comprendre et analyser, il y a des vies, des vies d’hommes et de femmes, avec leur histoire propre, leurs soucis, leurs espoirs, leur caractère, leur passé et même leur humour. Tout ce qui fait qu’ils sont vous ou moi, votre voisin ou votre cousin. C’est ça que veut Michalik, et il y excelle, avec des comédiens dont le travail, on ne le dira jamais assez, est absolument remarquable.

Le théâtre est, dit-on, l’art social par excellence. Ça n’a jamais été aussi vrai. Et la standing ovation, du coup, prend soudain un air d’évidence. À l’heure du vote sur la nouvelle loi immigration, il y avait ce soir-là à Paris, sur les rives opposées de la Seine, deux assemblées. Mais il n’y a qu’une humanité.

• Passeport, au Théâtre de la Renaissance, 20, boulevard Saint-Martin, Paris 10e, jusqu’en juin, du mardi au samedi à 21 heures (séance supplémentaire le samedi à 16 h 30) et le dimanche à 17 heures.