Le 27 mai 1943, dans la France occupée par les nazis et soumise au régime collaborationniste, antisémite et antisocial de Vichy, toutes les composantes de la Résistance vont réaliser quelque chose d’unique dans l’histoire de notre pays : unifier les mouvements de résistance et construire un programme politique ambitieux à mettre en place dès la Libération : « Les Jours heureux ».

« Quand les blés sont sous la grêle / Fou qui fait le délicat / Fou qui songe à ses querelles / Au cœur du commun combat… » On connaît les vers célèbres de La Rose et le Réséda, ode à l’unité nationale face à l’occupant nazi écrite par Aragon à l’été 1942 et dédiée à Gabriel Péri et à d’Estienne d’Orves, « celui qui croyait au ciel » côtoyant ainsi « celui qui n’y croyait pas » dans la lutte pour la libération nationale. Car cette unité n’était pas évidente. On a peut-être oublié quelle fureur anticommuniste dominait dans de larges secteurs de notre pays : parmi les nazis et leurs alliés, bien sûr, mais au-delà de ces rangs et au sein même d’une partie substantielle de la Résistance. Il fallut un très haut sens de l’intérêt national pour que chacun acceptât de surmonter les différences.

Mis en forme par Pierre Villon, cadre du PCF, le Programme d’action de la Résistance, qu’on appellera après la Libération « Programme du CNR », résulte d’un compromis. Il présente deux objectifs : un plan d’action immédiate et des mesures à appliquer dès la libération du territoire. À ce jour, le programme du CNR reste, dans l’histoire de France, le seul programme d’action qui ait été l’expression d’une très large approbation nationale, exprimant l’unité de la Résistance face à l’ennemi et à ses complices.

La première réunion du Conseil national de la Résistance se tient au 48, rue du Four à Paris, dans le 6e arrondissement. Dix mois plus tard, le 15 mars 1944, le programme du CNR, « Les Jours heureux », est adopté. Dès la Libération, les citoyens français participent aux discussions. Le programme proclamait la nécessaire solidarité à l’égard des plus démunis, auxquels il fallait apporter sécurité et protection. Il inspire également la rédaction du préambule de la Constitution de la IVe République, un texte historique, considéré pendant des années comme le ciment du pays. On lui doit la nationalisation des usines Renault (par la confiscation des biens de Louis Renault, collaborationniste), celle des grandes banques, de l’électricité et du gaz (création d’EDF et GDF), l’institution des comités d’entreprise, les 40 heures, la généralisation de la Sécurité sociale sous l’impulsion du ministre communiste Ambroise Croizat, le statut de la fonction publique, et tant d’autres mesures sociales.

Un héritage aujourd’hui malmené

Ces conquêtes sociales sont aujourd’hui attaquées de front par un Emmanuel Macron engagé dans une casse sans précédent du socle de notre société. Comment, en effet, ne pas trembler devant l’avalanche sans précédent de reculs sociaux, d’attaques contre notre démocratie, avec des institutions malmenées et le recours au 49.3 pour faire passer en force les « réformes » ? Celle des retraites illustre l’arrogance d’un pouvoir qui s’en prend à un modèle de protection sociale que nous envient bien des pays. Le pouvoir veut réduire en miettes les acquis du CNR. Pire, il laisse l’extrême droite avoir pignon sur rue et s’emparer, avec l’aide du capital, de grands médias. Le programme du CNR a constitué l’architecture politique, économique et sociale de la France jusqu’aux années 1980, époque où le libéralisme a commencé à détricoter méthodiquement le programme du CNR.

Aujourd’hui, avec le pire des cynismes, Macron tente de brouiller les pistes en mettant en place un Conseil national de la Renaissance. Renaissance de quoi ? De l’hégémonie du capital dans la presse et les médias ? De l’intérêt particulier au détriment de l’intérêt général ? Du retour de l’extrême droite et des héritiers directs de la collaboration ? Fort heureusement, il y a dans le pays un esprit de résistance, hérité de nos prédécesseurs. Oui, quatre-vingt ans après, nous n’oublions pas le Conseil national de la Résistance.

Impossible de terminer cet article sans une pensée pour Odette Nilès qui nous a quittés le jour de ce 80e anniversaire. Résistante communiste, elle fut internée à Aincourt Châteaubriant puis au fort du Hâ à Bordeaux d’où elle s’évadera pour rejoindre la Résistance. Une engagée de tous les instants pour que les jeunes générations poursuivent le travail du CNR et bâtissent un monde solidaire, démocratique et de paix, aux antipodes des idées de l’extrême droite. Dans un contexte où le patron du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, évoque l’arrivée de Marine Le Pen au pouvoir comme un « risque nécessaire », nous nous devons de poursuivre le combat d’Odette Nilès pour défendre les valeurs humanistes et de progrès social auxquelles nous croyons.