Les émeutes qui, fin juin et début juillet, ont secoué nombre de villes françaises après la mort du jeune Nahel n’ont, comme on pouvait s’y attendre, donné lieu à aucune réflexion du pouvoir sur ce phénomène et surtout sur ses causes. L’émotion médiatique a tenu le devant de la scène, comme un rideau de fumée devant certaines réalités.

« La mort de Nahel M., tué lors d’un contrôle de police à Nanterre, n’est pas un événement isolé. En revanche, le placement en détention provisoire du policier mis en cause est exceptionnel. » Cette phrase n’est pas tirée d’un tract antiflics mais d’un article des « Décodeurs » du journal Le Monde qui rappelle que si « quinze personnes ont été tuées en France après des refus d’obtempérer depuis début 2022 », seulement huit mises en examen ont été prononcées. La flambée de violence qui a suivi le décès du jeune homme est caractéristique d’un engrenage habituel : un contrôle d’identité, un policier qui fait usage de son arme, et des versions contradictoires, avec, dans le cas de Nahel, des images vidéo qui contredisent très nettement celle des forces de l’ordre.

Cette flambée, plus courte mais plus violente que celle de 2005, a atteint un nombre record d’agglomérations, y compris de petites villes. Elle a causé des dégradations bien plus importantes et mobilisé un nombre de policiers beaucoup plus grand.

Comprendre pourquoi nous en sommes là

Comme à l’accoutumée, le pouvoir et les télévisions ont traité ces événements par l’émotion, sans se préoccuper des questionnements de fond. Sur instruction du gouvernement, des condamnations extrêmement sévères ont été prononcées par une justice expéditive, qui a su faire preuve d’une célérité inhabituelle : plus de six cents mineurs ont connu la prison à cette occasion.

Faut-il qualifier ces événements d’émeutes ou de révoltes urbaines ? L’essentiel, quelle que soit la dénomination retenue, est de reconnaître qu’il s’agit d’un fait politique et de le traiter comme tel. Cette révolte n’est pas un phénomène inexplicable, surgi de nulle part, commis par des personnes fondamentalement différentes de nous. On ne peut condamner la dégradation d’une école publique, le lieu par excellence où l’on apprend à comprendre, sans chercher à comprendre pourquoi nous en sommes là.

Il existe une tradition policière française du contrôle d’identité, née du temps où la police contrôlait les populations venues des colonies, qui devaient s’incliner et obtempérer. Ces pratiques illégales ont persisté malgré la fin de l’Empire. Elles ont été légalisées au moment où la France de la fin des années soixante-dix choisissait la voie de la désindustrialisation et condamnait ceux que l’on faisait venir pour faire tourner les usines, puis leurs enfants, à vivre une oisiveté contrainte dans les « cités ».

Puis, la multiplication des mouvements de révolte dans les banlieues s’est accompagnée, dans les années quatre-vingt-dix, d’un renforcement de l’arsenal pénal à l’encontre de ces jeunes, qui est venu légitimer les pratiques héritées de la période coloniale. Le rapport de domination a été consacré par la capacité donnée aux policiers d’infliger directement des amendes « délictuelles ». Parallèlement, les dépenses publiques se sont concentrées sur les forces de l’ordre, en même temps que s’opérait un retrait des politiques d’accompagnement social.

L’extrême droite en embuscade

C’est la même logique libérale qui fragmente le monde du travail et toute la société. Elle revêt le même caractère autoritaire avec les jeunes de banlieue que celui que nous dénonçons dans nos luttes syndicales. Il faut ajouter à cela qu’en France, la police nationale agit comme un groupe d’intérêt, craint par un exécutif qui lui multiplie les concessions. Ce faisant, il achève d’ouvrir la voie vers l’extrême droite et de manière non fortuite, car plus le danger grandira, plus la droite libérale incarnée par Macron ou ses épigones pourra se poser en rempart et conserver une chance de rester au pouvoir. Et si le scénario du rempart venait à échouer, le patronat français et une grande partie de la droite se sont officiellement déclarés prêts à s’accommoder, voire à rallier l’extrême droite. La rentrée scolaire, placée sous le signe de l’interdiction de l’abaya, s’inscrit dans cette même logique.

Notre rôle est de dire et rappeler tout cela, de relier les effets à leurs causes, de refuser que l’émotion médiatique prenne le pas sur la réflexion. Nous devons organiser cette discussion avec nos syndiqué·es qui, pour la plupart, constituent ces quartiers populaires, si souvent présentés comme une terre inconnue, presque étrangère.