Le Jeu de paume nous propose de découvrir ou de redécouvrir une photographe fascinante à plus d’un titre, c’est-à-dire pas que pour ses photos. Inclassable parce que non réductible, Tina Modotti était dotée d’une sensibilité d’artiste et d’une énergie de militante. Résultat : une vie certes brève (elle est morte à 45 ans en 1942) mais intense.
La petite Italienne d’Udine a 16 ans lorsqu’elle décide d’aller rejoindre son père à San Francisco, où la pauvreté l’a amené à émigrer. Jusque-là, depuis son âge de 12 ans, elle travaillait douze heures par jour dans une usine textile et rapportait à la maison le seul salaire de la famille. Là-bas, elle devient couturière puis, parce qu’elle est une belle jeune fille, mannequin.
Elle rencontre alors celui qu’on appelle « Robo », un poète et peintre qui deviendra son premier mari. Avec lui, elle part pour Los Angeles où, affamée de culture, elle fréquente les lieux et milieux culturels et intellectuels. On comprend dès lors que le mannequinat la lasse très vite, même si elle pose pour le grand photographe Edward Weston. Sous l’aile de Robo, c’est vers le théâtre et le cinéma qu’elle va se tourner et jouer dans trois films (on est à Hollywood), sans pour autant se la jouer starlette. On peut en voir des extraits dans l’exposition.
Révolution mexicaine
De Weston, elle a beaucoup à apprendre, pas comme poseuse mais comme photographe. Elle va ainsi devenir son assistante (et même un peu plus). Mais si elle lui doit les aspects techniques de son art (sans toutefois égaler le maître), les sujets, ce seront les siens. D’abord toutes sortes de natures mortes, qui ne sont mortes que dans l’expression. Ses fleurs sont, bien qu’en noir et blanc, absolument remarquables. Puis très vite, c’est l’ancienne ouvrière qui observe, cadre puis appuie sur le déclencheur. L’expo n’est pas avare de ses clichés d’ouvriers et d’ouvrières au travail, dans les activités les plus variées. Comme une preuve que le « miracle économique américain » n’en était bien sûr pas un mais le résultat de la peine et de la sueur. Les gros plans de Tina Modotti sur les mains de travailleurs et de travailleuses sont là-dessus assez emblématiques.
Aussi grande soit-elle, Los Angeles va bientôt ne plus suffire à Tina. La révolution mexicaine a tiré ses derniers coups de canon et le bouillonnement créatif qui s’ensuit captive beaucoup d’intellectuels et d’artistes états-uniens. Dont Tina, bien sûr, qui arrive appareil photo en bandoulière. C’est là qu’elle prendra de superbes photos, dont la femme au drapeau rouge qui figure sur l’affiche de l’exposition du Jeu de paume ou encore armes et cartouchières mais aussi le Mexique sous toutes ses coutures (photos de villages très intéressantes) et même Diego Rivera en train de peindre une fresque murale. Tina se liera d’amitié également avec Frida Khalo. Son travail glisse alors vers le photoreportage. Parallèlement, elle lit beaucoup – littérature, philosophie, politique – nourrissant ainsi son travail de photographe, qui devient essentiellement politique et social, ce qui l’amènera à s’éloigner de son mentor, Edward Weston, résolument tournée vers l’esthétisme.
Secours rouge international
En 1927, elle finit par adhérer au parti communiste mexicain. Trois ans plus tard, le parti subissant une répression sévère, Tina Modotti est expulsée. Arrivée en Europe, plus précisément à Rotterdam, la police mussolinienne est tout près de l’arrêter. Elle se réfugie à Berlin. S’y ennuie et part à Moscou. Mais là non plus elle ne trouve pas satisfaction : ses conceptions photographiques ne collent pas avec le réalisme socialiste alors en vigueur.
Fin de l’expo (deux cent quarante tirages) mais pas de sa vie. Car, oui, c’est le grand tournant. Pas encouragée artistiquement, de plus en plus mobilisée politiquement, elle arrête la photo et se met à travailler à plein temps pour le Secours rouge international. Pologne, Roumanie, Hongrie, elle est partout. A Paris aussi, en 1935, puis, bien sûr, à Madrid en 1936, où elle sera une des proches de la Pasionaria. En 1939, elle parvient à s’enfuir de Barcelone occupée par les franquistes et rejoint New York, mais elle est illico redirigée vers le Mexique, où elle s’occupera de l’aide aux réfugiés de la Guerre d’Espagne. Parmi ses derniers amis : Pablo Neruda. Et pour terminer, une crise cardiaque, dans un taxi. Adios Tina.
• « Tina Modotti, l’œil de la révolution », Jeu de paume, 1, place de la Concorde, jusqu’au 12 mai, tous les jours sauf le lundi de 11 heures à 19 heures, mardi jusqu’à 21 heures, 12 €.