Le deuxième tome de la BD retraçant la vie de la résistante Madeleine Riffaud vient de sortir. Ainsi que l’enquête de Nicolas Legendre (prix Albert-Londres 2023) sur l’emprise de l’agrobusiness dans le monde paysan breton.

Madeleine Riffaud dans la Résistance

Nous avions chroniqué dans le « TP » le premier tome de cette bande dessinée, parue en août 2021, qui retraçait l’engagement extraordinaire de Madeleine Riffaud. Cette œuvre a été lauréate, notamment, du prix René-Goscinny au Festival international de la bande dessinée d’Angoulême en 2022. En attendant le troisième tome, car ce sera une trilogie, le deuxième tome vient d’être édité, qui poursuit le récit de ses aventures. Il a fallu deux ans d’échanges avec le scénariste pour puiser dans ses douloureux souvenirs.

Introduite dans une cellule de la Résistance, Madeleine – nom de code Rainer – se forme aux tactiques d’action et de discrétion. Avec ses compagnons, dont Picpus, amoureux comme elle de poésie, la jeune femme va nous faire vivre le quotidien de la Résistance avec une précision documentaire jamais atteinte, narrant aussi bien la rencontre avec les camarades du célèbre groupe Manouchian ou la joie des victoires que le drame des pertes humaines. Arrêtée, Madeleine Riffaud est torturée pendant trois semaines par les Allemands. On lui promet la mort si elle ne parle pas. Mais elle gardera le silence.

Madeleine Riffaud a eu des vies multiples. Résistante d’abord. Âgée de 19 ans, elle est arrêtée en juillet 1944 pour avoir abattu un officier allemand à Paris. Torturée pendant un mois par la Gestapo, elle est libérée à la mi-août 1944. Reporter de guerre ensuite. Après 1945, elle écrit des recueils de poèmes publiés par Paul Éluard. Puis elle devient journaliste et grand reporter pour le journal L’Humanité. Elle couvre la guerre d’Algérie, où elle est victime d’un attentat organisé par l’OAS, puis le conflit au Vietnam.Journaliste enfin. En 1974, elle publie Les Linges de la nuit, un ouvrage dans lequel elle décrit la réalité de l’hôpital après s’être fait embaucher incognito comme aide-soignante dans des établissements parisiens.

Madeleine, résistante, tome 2, L’édredon rouge, scénario Dominique Bertail, illustrations Jean-David Morvan, Éditions Dupuis.

L’agro-industrie ou la paysannerie asservie

« C’est pas la Corse ici. On te tue pas. C’est plus subtil. C’est sournois… » Quelques jours après les blocages et le mouvement de colère paysanne, ce livre-enquête écrit par Nicolas Legendre (journaliste et prix Albert-Londres 2023 pour ce travail) décrit la réalité du monde agricole breton et ses évolutions depuis l’après-guerre sous les coups de butoir des lobbies agro-alimentaires et des banques. Édifiant. Autant par le désastre écologique engendré que par la souffrance endurée par de nombreux paysans.

Pendant sept ans, ce fils d’agriculteur, qui a longtemps suivi les dossiers de l’agriculture et de l’agroalimentaire en Bretagne pour le journal Le Monde, a mené des centaines d’entretiens avec des paysans, des salarié·es et des cadres de coopératives, des élu·es, des chef·fes d’entreprise, des syndicalistes.

Dans les années soixante, le « système » agro-industriel fait naître des empires transnationaux et des baronnies rurales. Il crée des usines et des emplois. Il entraîne la disparition progressive des paysans, l’asservissement de nombreuses et nombreux salarié·es de l’agroalimentaire, l’altération des écosystèmes et la généralisation de la nourriture en boîte. Il s’impose au nom de la realpolitik économique et de la foi dans une certaine idée du « progrès ». Il prospère grâce à la bienveillance, l’impuissance ou la lâcheté des autorités et d’une partie des élu·es. Il engendre ses propres mythes, capables de façonner durablement les mentalités. Il enrichit considérablement une minorité, alors que certain·es se contentent de survivre grâce aux subventions ou doivent s’estimer heureuses et heureux d’avoir un travail. Il fait taire des récalcitrants à coups de menaces, de pressions, d’intimidations, de calomnies ou de sabotages. La violence est son corollaire. Le silence, son assurance-vie. Comment le définir ? « Féodalité », répondent les uns. « Esclavage moderne », disent les autres. « Oligarchie » ou « mafia », jurent certains.

Enquête au long cours jalonnée de témoignages saisissants, Silence dans les champs est une immersion glaçante dans le principal territoire agro-industriel de France, la Bretagne.

• Nicolas Legendre, Silence dans les champs, éditions Arthaud.