À la manifestation du 1er Mai, l’UD de Paris a accueilli avec beaucoup de fierté, et dans la continuité des luttes historiques menées par la CGT contre les politiques coloniales, plus de cinq cents Kanaks dans un cortège revendicatif et pacifiste, qui alertait sur la manœuvre politique de Darmanin pour « dégeler » le corps électoral en Nouvelle-Calédonie. Aujourd’hui, cette belle mobilisation a un goût bien amer. Sourds aux revendications portées par le peuple kanak, Macron et son ministre de l’Intérieur, main dans la main avec les Caldoches et le patronat local, ont réussi en quelques mois à anéantir trente-cinq ans de paix. Alors que tout cela aurait pu être évité, on compte aujourd’hui des dizaines de morts, des milliers de blessés et des centaines de militants emprisonnés.

Alors que depuis de nombreux mois des manifestations pacifistes populaires avaient lieu pour dénoncer le fond et la forme de la réforme du corps électoral, le président Macron et son gouvernement sont restés sourds à la volonté des peuples, déclenchant une très grave crise humaine et politique. Comme lors de nombreuses crises politiques (« gilets jaunes », réforme des retraites, émeutes après la mort de Nahel à Nanterre), les mêmes méthodes sont employées : mépris de l’histoire et des personnes, prétention à l’omniscience, refus de prendre en considération les alertes des connaisseurs des dossiers et, in fine, la réponse martiale et la pénalisation du mouvement social comme seules propositions.

En 1988 puis 1998, des représentants du pouvoir politique français et du peuple premier kanak avaient su trouver la voie du dialogue et élaborer des accords qui ont permis la fin de la guerre d’indépendance et l’élaboration d’une solution locale. Depuis 1853, la Kanaky et les Kanaks n’ont jamais été soumis, ils ont toujours lutté pour recouvrer leur liberté. Chaque avancée en Kanaky a été le résultat d’un consensus. C’est cette méthode que Macron et son gouvernement refusent, niant par là même les vertus de l’intelligence partagée. L’envoi de militaires, gendarmes, GIGN, RAID par le pouvoir français ne fera pas revenir le calme ni cesser les barrages. En Kanaky, Caldoches comme Kanaks le savent : tout se règle par consensus et jamais par la force.

Vouloir dégeler le corps électoral et mettre ainsi à bas le complexe équilibre des accords signés n’est pas acceptable pour ceux qui, depuis 1853, aspirent à ne plus être des victimes de la colonisation. La CGT soutient la lutte pacifique des peuples calédoniens pour accéder à la liberté. La CGT, comme durant les guerres coloniales d’Indochine et d’Algérie, réclame que le droit des peuples à l’autodétermination soit effectif. La CGT se tient aux côtés des opprimés, victimes, qui plus est, d’une discrimination politique, sociale et économique systémique.

Macron partout et nulle part

Faire un show médiatique en prenant l’avion pour faire la une et faire croire à son implication dans la recherche d’une solution n’est qu’une provocation de plus à l’encontre du peuple kanak. Pour assurer un retour au calme, le président Macron doit immédiatement retirer le projet de dégel du corps électoral, mettre fin à l’état d’urgence, libérer les défenseurs des droits (syndicalistes et représentants d’associations) et demander au Premier ministre d’organiser une médiation, tout en restant dans le cadre des accords. Il doit organiser au plus vite les discussions avec les partisans du retour à la paix, excluant de facto le rapporteur du projet de dégel du corps électoral, l’ancienne secrétaire d’État, et le haut-commissaire à la République qui n’ont cessé d’attiser les feux pour écraser le peuple kanak.

Un début de sortie de crise consisterait évidemment à se mettre autour d’une table et à dialoguer. Tout le monde doit comprendre pourquoi les Kanaks refusent cette modification du corps électoral, qui vise à les minorer au sein de leur île et à remettre en cause le processus indépendantiste qui était en cours depuis des décennies.  Sophie Binet, présente aux côtés des Kanaks le 1er mai, martelait déjà : « Soutien à nos frères et sœurs kanaks. La provocation du gouvernement et la violence doivent cesser, une mission de médiation indépendante doit être mise en place immédiatement. »

Darmanin les gros sabots

Et c’est bien le plus triste et le plus terrible des constats aujourd’hui, au regard des décès qui ont lourdement endeuillé le territoire ces derniers jours et des destructions considérables d’infrastructures, qui auraient pu, et dû, être évités. Peut-être le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer aurait-il dû lire Jean-Marie Tjibaou lorsqu’il disait : « Pour pouvoir dire qu’on perd du temps, il faut être dans un système où il est reconnu comme une valeur d’en gagner. Pour le Kanak, la durée est une expérience du chaud et du froid, du pluvieux et de l’ensoleillé qui se renouvellent, de la vieillesse et de la jeunesse qui se succèdent, des fêtes qui réchauffent la communauté et qui ravivent l’âme. » Mais la « start-up nation » n’aime ni les travailleurs, ni les peuples opprimés, et encore moins la poésie.