L’extrême droite, les réactionnaires, les populistes n’aiment ni la presse, ni les syndicats de salariés, ni la justice quand elle s’applique à eux-mêmes. Marine Le Pen, huit anciens eurodéputés du Rassemblement national et d’autres cadres ont été condamnés par le tribunal de Paris. La justice a rendu son verdict et sa décision s’impose à tous et à toutes. La justice ne doit pas faire de distinction entre les puissants et les citoyens ordinaires. C’est là un fondement inébranlable et la garantie de la démocratie. Côté extrême droite, ça pleurniche et ça joue les victimes. Ça se plaint d’une justice sévère. C’est presque drôle quand on sait que ces gens n’ont cessé de se plaindre du laxisme des juges et de revendiquer une plus grande sévérité à l’égard du plus petit délinquant. Le Code civil pour les riches, le Code pénal pour les pauvres.

Ce jugement a suscité d’étranges commentaires, pas seulement du côté de l’extrême droite. La droite qui aime la jouer « légaliste » s’est laissée aller. « Le droit contre le peuple », a titré Le Figaro. Retailleau, s’asseyant allègrement sur la séparation des pouvoirs, dénonce la présence de « juges rouges ». Le Premier ministre, lui, a osé se dire « troublé ». Faut dire qu’il n’est clair sur rien. À gauche, communistes, socialistes et écologistes prennent acte du jugement, alors que du côté insoumis, on a eu droit à ce commentaire saugrenu de Manuel Bompard : « LFI n’a jamais eu comme moyen d’action d’utiliser un tribunal pour se débarrasser du RN. » Propos pour le moins hors sujet puisqu’il était question ici de détournements de fonds publics, à moins d’accorder une oreille à certains échos de presse qui racontent que les insoumis auraient eux aussi un dossier en cours avec la justice sur un sujet analogue.

La démocratie s’appuie sur plusieurs principes fondamentaux : le respect des libertés fondamentales, la séparation des pouvoirs, la tenue d’élections libres régulières, la souveraineté du peuple, le respect de l’État de droit (la loi s’applique pour tout le monde de la même façon) et le respect du pluralisme politique. Ces principes doivent s’équilibrer sans que l’un ne l’emporte sur l’autre.  On doit évidemment y ajouter la presse et les médias (à condition que ces derniers ne soient pas inféodés aux forces de l’argent et/ou à un État omnipotent – lire à ce sujet l’article sur la réforme de l’audiovisuel public dans ce numéro) et ce qu’on appelle les « corps intermédiaires » que sont les organisations syndicales et le très riche mouvement associatif.

Pour le RN (ce qui n’est pas surprenant) mais aussi pour d’autres (on peut penser à certains positionnements de LFI ou à certaines personnalités des « gilets jaunes »), seul le peuple serait souverain et le référendum la seule expression réellement démocratique. Mélenchon déclarait d’ailleurs cette semaine : « La décision de destituer un élu doit revenir au peuple », alors même qu’il ne s’agit pas là de destitution. À ce tarif-là, Balkany serait encore maire de Levallois. On se rappelle aussi certaines déclarations à propos des syndicats de salariés, qui seraient inutiles ou dépassés, voire des suppôts (pour être poli) de Macron, comme on a pu l’entendre dans certaines manifestations ouvrières de la part d’individus se réclamant des « gilets jaunes ».

Plusieurs marqueurs permettent de mesurer l’état de santé d’une démocratie : le niveau de répression mené envers les militant·es de syndicats ouvriers, la liberté de la presse et les droits des femmes. Ainsi, tous les régimes autoritaires s’accordent à restreindre voire à réprimer celles et ceux qui défendent les travailleur·ses, informent les citoyen·nes et revendiquent l’égalité de droits pour les femmes. Plusieurs outils sont disponibles pour mener à bien cette tâche : réprimer durement, saturer l’espace médiatique de fake news et de contre-vérités en s’attaquant en priorité aux chercheurs et aux universitaires. La vigilance doit être de mise dans cette période où il faut se méfier des raccourcis simplistes, des thèses complotistes ou des vérités assénées sans nuances. N’oublions pas : de l’affaire Dreyfus à l’élection de Trump en passant par la France de Pétain, c’est toujours par un renversement sidérant des valeurs que l’extrême droite tisse sa toile avant de s’emparer du pouvoir.

Emmanuel Cottin, UD de Paris