Le 26 octobre 2023, la cour d’appel de Grenoble a condamné la société STMicroelectronics à verser 815 000 € de dommages et intérêts à onze techniciennes et ingénieures de l’entreprise pour discrimination sexiste à l’origine d’un préjudice financier et moral. Une décision à rebours de celle du conseil de prudhommes qui avait débouté les salariées de leur plainte. Une victoire importante à plusieurs titres.
Le revenu salarial des femmes cadres et ingénieures est en moyenne inférieur de 20,6 % à celui des hommes. Plus elles montent en grade, plus l’écart s’accentue. À la différence des ouvrières, il n’est pas la conséquence du temps partiel subi. L’écart en équivalent temps plein est de 19 %, peu inférieur à celui du revenu salarial. Alors, comment expliquer cette différence ? En partie par des situations professionnelles distinctes, mais aussi et surtout par une discrimination sexiste systémique. De longue date identifiée par la CGT, elle s’exerce dès l’embauche et s’amplifie tout au long de la carrière.
La lecture de cette décision du tribunal est une mine d’or. Parmi les onze dossiers, on découvre le parcours d’une jeune ingénieure diplômée. Avec deux années d’expérience professionnelle et un doctorat en poche, elle est embauchée en 2000 par STMicroelectronics au coefficient 76, le coefficient d’embauche des salariés sans expérience professionnelle. À la même période, cinq jeunes hommes, également ingénieurs diplômés mais sans doctorat, ont été directement positionnés au coefficient 84 pour l’un et au 100 pour les quatre autres. Cinq ans plus tard, l’écart de salaire mensuel entre elle et les cinq salariés était équivalent à celui l’ensemble des ingénieur·es cadres de l’entreprise : 4 204 € pour les femmes contre 4 927 € pour les hommes. Preuve par l’exemple que les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes de cette même catégorie professionnelle n’avaient aucun fondement objectif et ne pouvaient résulter que d’une discrimination sexiste systémique.
Cette fois, la cour d’appel n’a pas tremblé
On sait qu’en matière de discrimination sexiste, obtenir gain de cause est un exploit tant l’obstruction patronale est tenace. En cas de litige, les arguments de confidentialité des données et de respect de l’anonymat sont régulièrement utilisés par les employeurs pour refuser de communiquer les éléments de rémunération, informations pourtant indispensables – les employeurs le savent bien – pour comparer les salaires entre sexes
À ce titre, la décision du 26 octobre est un cas d’école. C’est au nom du droit à la preuve que la cour d’appel a balayé ces arguments et reconnu légitime la remise d’informations concernant dix hommes, dont le parcours, l’âge et la fonction dans l’entreprise étaient similaires aux plaignantes. Il a considéré que la levée de l’anonymat était essentielle et l’atteinte à la confidentialité proportionnée pour établir les faits. Malgré les tentatives dilatoires de l’employeur, qui ne divulguera les informations requises qu’au bout de sept années après l’injonction du tribunal, ces informations ont permis d’établir l’existence d’une discrimination sexiste. Une victoire d’ampleur qui fera date.
Une victoire de la méthode Clerc et de la CGT
La CGT STMicroelectronics et la Fédération CGT de la métallurgie étaient parties prenantes de la plainte, et la victoire a confirmé le bien-fondé de la « méthode Clerc », du nom du militant CGT à l’origine de la méthode qui permet d’appréhender l’ampleur d’une discrimination syndicale ou sexiste. Utilisée dans le cadre du contentieux qui opposait ces onze femmes à la société STMicroelectronics, elle a permis de chiffrer à sa juste valeur le montant du préjudice financier subi pendant la période de travail, mais aussi celui sur le montant de la future retraite. Pour rappel, les pensions de retraite des femmes, tous secteurs confondus, sont en moyenne de 40 % inférieures à celles des hommes. Chapeau bas !
Enfin, en matière d’égalité professionnelle, dans le combat qui oppose les travailleuses au patronat, il n’y a pas de petits pas. Si une décision de justice, aussi confidentielle soit-elle, endosse un rôle politique et rejoint les revendications syndicales, nous ne pouvons que nous en réjouir. Nous l’utiliserons pour convaincre les travailleurs et les travailleuses de se mettre en grève le 8 mars. Convaincu·es qu’en la matière, comme dans les autres, l’augmentation du rapport de force permettra d’en finir avec les inégalités salariales et professionnelles.
Emmanuelle Lavignac,
secrétaire nationale Ugict-CGT, Commission confédérale Femmes-mixité